La science-fiction les deux pieds
dans le présent
(ASP) - Même si la science-fiction
télévisée raconte des histoires
censées se dérouler dans un lointain futur,
elle reflète surtout les valeurs de la société
actuelle. Faire lhistoire de la SF à la
télé américaine, cest donc
aussi suivre lévolution de la plus puissante
nation du monde.
Cest du moins ce questime
Rex Brynnen, un politologue de luniversité
McGill qui sest écarté de son sujet
de prédilection (le Moyen Orient) pour consacrer
une étude à la SF télévisée.
La science-fiction, note-t-il, a souvent
la politique comme thème central. Et les créateurs
ne sen cachent pas : leurs uvres explorent
diverses hypothèses sociales. "Plusieurs
intrigues sont inspirées par des événements
contemporains ou constituent un commentaire social à
peine voilé." Et si les situations semblent
si familières, cest pour une bonne raison :
la télé étant une entreprise commerciale,
elle doit parvenir à séduire le plus grand
nombre. Les extraterrestres, daccord, mais en
autant quils ne heurtent pas trop les valeurs
de lauditoire...
Les oreilles pointues de Spock, le lieutenant
du capitaine Kirk dans la première série
Star Trek, ne choquent plus personne. Mais lorsque
le personnage est apparu, durant les années 60,
les producteurs ont voulu censurer ce personnage dapparence
démoniaque et aux origines plus que douteuses,
craignant que le public ne sen offusque. Et que
dire du rôle des femmes? Le rôle du capitaine
Kirk devait dabord être féminin.
Mais lémission-pilote de 1966 fut mal acceptée
surtout par les femmes elles-mêmes. Il faudra
attendre la série Voyager, en 1995, pour
que lunivers de Star Trek senrichisse
dune capitaine.
Clichés du futur
Les épisodes originaux de Star
Trek, durant les années 60, présentent
une vision très américanisée du
futur. Les cultures extraterrestres indigènes
sont stéréotypées (le barbare dangereux
ou le bon sauvage) et ceux qui parlent anglais avec
un accent étranger sont généralement
des adversaires menaçants
Certains épisodes
recréent les tensions de la guerre froide. "Les
Klingons, note Rex Brynnen, ne ressemblaient souvent
quà des Soviétiques futuristes
indignes de confiance, expansionnistes et engagés
dans un inévitable conflit bipolaire pour le
contrôle de la galaxie contre la bienveillante
Fédération."
Au début des années 90,
le monde a bien changé et le futur décrit
par Star Trek aussi. Le film The Undiscovered
Country, avec son traité de paix avec les
vieux ennemis, constitue " une allégorie
évidente de la fin de la guerre froide".
Une autre série télévisée,
Babylon 5, pousse encore plus loin. Les Narns,
une race reptilienne militariste, y apparaît dabord
sous un jour très négatif, surtout comparée
à celle, brillante, des Centauris quasi-humains.
Mais on apprend peu à peu que les Narns ont subi
un terrible génocide de la part des Centauris,
qui se révèlent du coup comme de redoutables
manipulateurs. "Un commentaire très efficace
sur les oeillères de lethnocentrisme et
les dangers des stéréotypes", note
le politologue.
Le science-fiction nest-elle donc
quun reflet des idées reçues de
la société? Ce serait conclure trop vite.
Dès les années 60, Star Trek postule
lexistence dun futur basé sur la
coopération entre les races, ce qui nallait
pas de soi. Certains épisodes critiquent la guerre
du Vietnam à mots couverts. La science-fiction
télévisée, en conclut Brynnen,
contribue un peu à modifier les attitudes sociales.
Philippe
Gauthier