Le magazine Seed:
après les fleurs, le pot?
(Agence Science-Presse) - Il y a trois ans,
le jeune prodige montréalais de la science, Adam
Bly, fondait Seed, un magazine qui promettait de
causer science de manière accessible et sexy. La
revue produite à Montréal sécoulait
lautomne dernier à 150 000 exemplaires
par numéro en Amérique du Nord. Mais voilà
que Seed semble sur le point de rendre lâme
et qu'il se fait vilipender pour n'avoir pas payé
ses auteurs.
Le numéro d'hiver, promis pour février,
est à présent repoussé en mai, annonce
le service du marketing, à New York. En fait, l'an
passé, sur six numéros prévus, seuls
quatre ont vu le jour, et le dernier remonte à
septembre. Le site web n'a pas non
plus
été remis à jour depuis l'automne.
L'ancien numéro de téléphone de New
York, où loge désormais la rédaction
et la majeure partie de l'administration, a été
débranché. L'entreprise tarderait à
conclure des ententes avec de nouveaux investisseurs.
Et alors que, dans sa publicité,
le magazine tablait beaucoup sur la qualité de
ses auteurs, la revue a été prise en flagrant
délit de n'avoir pas payé ses pigistes depuis
le printemps 2004. En décembre, elle recevait de
l'American Society of Journalists and Authors une mise
en demeure au nom de cinq journalistes pigistes réclamant
25 000$ en articles non-payés.
Ces pigistes et d'autres ont commencé
à recevoir des chèques en février.
Quest-ce qui a amené Seed
au bord de la faillite? Les nombreuses activités
spéciales? Les cachets trop élevés
de certains de ces prestigieux auteurs? Le manque de sérieux
des investisseurs ou des commanditaires? Un lectorat insuffisant?
Dans une récente entrevue accordée au New
York Observer, Bly jetait le blâme sur lindustrie
qui soutient trop peu les magazines indépendants
et reconnaît quil est normal pour une si jeune
PME déprouver des problèmes pécuniaires.
Le magazine n'était pas sans qualités.
LUTNE Independent Press lui a décerné,
en 2004, le prix du meilleur magazine dans la catégorie
science et technologie.
Quant à la prochaine publication,
nul ne peut dire si elle sortira vraiment en mai. Les
paris sont ouverts.
Valérie Martin
Magazines de science: élitistes
et ennuyeux?
Les magazines de science sont ennuyeux,
élitistes et dénués de tout sens
de l'humour, a déclaré en substance Adam
Bly, chaque fois qu'il devait expliquer en quoi il promettait
de se démarquer avec Seed. Survol des magazines
scientifiques anglophones.
Si le mensuel Scientific American
colle assez bien à la définition ci-haut,
il a une bonne excuse: il ne vise pas le grand public,
mais un lectorat possédant au moins un diplôme
de premier cycle en science, et de préférence
une maîtrise ou un doctorat. D'un autre côté,
le New Scientist, un magazine britannique hebdomadaire,
représente tout ce qu'Adam Bly dit rechercher:
de l'humour, des sujets accrocheurs, au point d'en être
qualifiés de sensationnalistes par ses détracteurs,
des détours originaux, voire extravagants, pour
traiter une nouvelle d'ordinaire aride...
Entre les deux, on a droit à toute
une palette, du Popular Science, davantage axé
sur la technologie et l'illustration, à l'American
Scientist aux dossiers plus austères, en passant
par Discover, destiné au public le plus
général possible. Et c'est sans compter
le National Geographic, les magazines sur l'environnement,
les plus spécialisés comme Sky &
Telescope... Avec tout cela et on n'a pas encore
parlé d'Internet on pourrait croire que les
lecteurs qui recherchent des textes plus légers,
de même que les maniaques de science, trouvent déjà
leur compte. Serait-ce la raison pour laquelle Seed
n'a pas réussi à se faire une niche?
Mais quelle était cette niche? Dans
ses premiers numéros, en 2002, la revue avait été
remarquée pour ses articles composés d'immenses
photos et de seulement quelques lignes de textes. Dans
ses deux derniers numéros au contraire, on remarquait
des articles composés de plusieurs pages de textes...
et de toutes petites photos. On a beaucoup comparé
Seed à Vanity Fair, pour son côté
léché et son attrait du vedettariat, mais
les vedettes en science ne sont pas si nombreuses. On
a également beaucoup insisté sur le pont
qu'elle voulait jeter entre la science et la culture,
mais le New Scientist joue cette carte depuis fort
longtemps
Le mensuel Wired, à qui Seed
a souvent été comparé, avait lui
aussi l'ambition, en 1993, de se trouver une niche. Sauf
que lui, il a réussi: en arrivant au moment où
Internet commençait à percer, il est parvenu
à mêler technologie et société,
de manière complètement différente
des magazines d'informatique traditionnels.
Enfin, en français, le monde des
magazines de science est beaucoup plus clairsemé,
ce qui rendrait encore moins probable le succès
d'un Seed francophone. Au Québec, le tirage
combiné des deux magazines, Québec Science
et Découvrir, dépasse tout juste
celui du magazine pour jeunes Les Débrouillards
(plus de 30 000 copies). Les magazines français
(Science et vie, Sciences et avenir, etc.) viennent
gruger une partie du public, et Internet est peut-être
en train d'en gruger une partie plus grande encore, à
en croire les études des deux dernières
années.
Pourtant, le public est indéniablement
friand d'informations scientifiques: l'émission
Découverte, à Radio-Canada, peut
atteindre les 700 000 téléspectateurs, ce
qui est énorme; le site web de l'Agence Science-Presse
génère un demi-million de visites par mois,
sans la moindre publicité. Mais de toute évidence,
ce même public ne semble pas capable de marcher
jusqu'aux kiosques à journaux...
Pascal Lapointe