La repousse des membres perdus
(ASP) - Est-il illusoire de penser qu'un
jour, nous aurons la capacité de recréer
des tissus gravement endommagés (blessures à
la moelle épinière, brûlures), voire
assister à la "repousse" d'un membre amputé?
Depuis deux ans, dans son laboratoire de
la Faculté de médecine dentaire1
de l'Université de Montréal, Stéphane
Roy ampute des pattes de salamandre et regarde pousser
les nouvelles... "Et c'est tellement parfait comme régénération,
qu'on ne voit aucune différence entre l'ancienne
patte et la nouvelle. On peut couper 100 fois la patte
et 100 fois elle repoussera. Le processus prend deux mois."
Pour explorer ce fascinant pouvoir, le biologiste
a la chance de travailler avec une salamandre de 15 à
25 cm appelée l'axolotl. Originaire du Mexique,
elle appartient à la famille des amphibiens urodèles:
les seuls vertébrés, connus à ce
jour, munis d'une telle capacité régénératrice.
L'axolotl peut refaire complètement et en tous
temps ses pattes, sa queue, ses mâchoires, sa peau,
sa moelle épinière, ses yeux, et même
une partie de son cur et de son cerveau!
"Ce pouvoir de régénération
différent des habituels mécanismes
de guérison est beaucoup plus courant chez
les invertébrés, explique Stéphane
Roy. Par exemple, le ver planaire une espèce
d'ombilic marin a le pouvoir de se multiplier en
50 vers différents et complets, si vous le sectionnez
en 50 bouts. "
La piqûre pour un tel sujet, le biologiste
l'a eue lors d'un stage post-doctoral de trois ans (1997-2000)
au laboratoire de la grande spécialiste de la régénération
tissulaire, la docteure S.V. Bryant, de l'Université
de la Californie à Irvine. Ensemble, ils ont travaillé
à cerner le secret des mécanismes génétiques
et des voies de signalisation qui sont à la base
même du processus de la régénération
parfaite chez les urodèles.
Ce travail est toujours en cours, mais "on
a cependant identifié, au site de l'amputation,
dans une mince couche de 2 millimètres, un phénomène
qu'on appelle la dédifférenciation cellulaire,
dit-il. Dans ce processus, les cellules semblent régresser"
jusqu'au stade qui était le leur aux premiers temps
de l'embryon, un peu comme si elle repartait à
zéro, avant de "reprendre des fonctionnalités
diverses (peau, nerf, os, etc.) et ainsi recréer
littéralement le membre manquant."
Chez l'humain, comme chez le reste des mammifères,
cette capacité semble absente. Et pourtant, il
y a deux exceptions : le doigt peut repousser chez des
enfants en bas âge (voire même des adolescents),
à une hauteur ne dépassant pas la dernière
phalange. Et notre foie a la capacité, non de reconstruire
les lobes qu'on lui aurait enlevés, mais de "régénérer"
parfaitement sa fonctionnalité.
Serait-il possible que, même chez
les vertébrés, cette capacité soit
encore cachée dans des gènes "endormis"
depuis des centaines de millions d'années? C'est
ce que croit Stéphane Roy. "Il existe à
l'intérieur du monde vivant une sauvegarde extrêmement
forte des fonctionnalités génétiques,
de sorte qu'il est légitime de penser pouvoir retrouver
un jour l'équivalent chez l'humain, sous la forme
de gènes en dormance, que l'on pourrait stimuler."
Mais il y a la dure réalité
du financement. "Il y a un très petit nombre de
chercheurs à travers le monde quelques équipes
tout au plus qui planchent sur une telle problématique.
Parce que pour beaucoup, c'est trop fondamental comme
question, trop loin des préoccupations de l'industrie...