Eskers
A la recherche de l'or bleu
(Agence Science-Presse) - Les eskers, formations
géologiques composées de sable et de gravier,
cachent en leur sein une eau de grande pureté.
"Ici, l'eau est en contact avec le socle rocheux. C'est
ce qui lui donne sa grande qualité", explique
Vincent Cloutier, hydrochimiste de l'Université
du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT).
Formations géologiques méconnues,
les eskers intéressent beaucoup de monde : municipalités,
entrepreneurs, ministères, chercheurs et bien sûr,
écologistes. Une centaine de participants de tous
horizons sétaient d'ailleurs réunis
à Amos en novembre dernier, pour le 2e
colloque sur leau souterraine organisé par
l'UQAT.
Ces dépôts suivent l'écoulement
d'anciens lits formés jadis par des glaciers.
Les grosses particules qui les composent témoignent
d'une histoire vieille de milliers d'années.
Et c'est au sein de la MRC d'Abitibi que l'on trouve
les eskers les plus volumineux du nord-ouest québécois,
qui alimentent de nombreux réservoirs aquifères.
Cette région possède
également de multiples installations reliées
à l'usage de l'eau souterraine. Un contexte
très intéressant pour la recherche.
Des chercheurs de l'UQAT, en collaboration avec
lInstitut national de la recherche scientifique
et la Commission géologique du Canada, ont
débuté en 2003 un vaste programme
quinquennal de recherche sur les eskers.
Ces travaux visent à évaluer
le potentiel en eau souterraine de la région
et de mieux comprendre ces formations géologiques.
"On retrouve des eskers tous les 10-15 km. Nous
étudions notamment la dynamique d'écoulement,
le lien eau-eskers, et les zones entre les eskers.
Ici, le glacier s'est retiré il y a 9000
ans mais beaucoup de sources émergent du
trop plein de l'esker", s'exclame Vincent Cloutier.
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L'âge
de l'eau
Reste-t-il
des traces du lac glaciaire dans les eskers ou s'agit-il
d'une eau jeune ? "On peut évaluer que
la source principale provient des précipitations
emprisonnées dans l'immense réservoir
argileux de l'esker", annonce Vincent Cloutier.
Pour
dater l'eau, les chercheurs se mettent sur la piste
du tritium (un isotope de l'hydrogène). Émis
dans l'atmosphère et emprisonné dans
l'eau par les précipitations, sa relative
importance dans l'eau permet dévaluer
son âge ; on a pour base de comparaison
un pic de tritium connu, causé par les essais
nucléaire américains des années
'60. " L'absence de tritium nous désignerait
une eau très vieille ", explique
le chercheur.
D'autres
traceurs sont également employés pour
dater l'eau : carbone 14 dans le cas d'une eau plus
vieille, une combinaison de tritium/hélium
ou la présence de polluants (CFC), qui témoignent
de notre époque moderne.
À
lire :
2e
colloque sur leau souterraine
organisé par l'UQAT (novembre 2005)
"Modélisation
de l'architecture 3D du segment sud de l'esker Saint-Mathieu-Berry
relié à la circulation de l'eau souterraine,
région dAmos", par Andrée
M.Bolduc, Marie-Noëlle Riverin, René
Lefebvre, Serge J.Paradis, et Francine Fallara
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Abitibi, ventre de l'or bleu
Les eskers abitibiens possèdent la
caractéristique d'être partiellement enfouis
sous largile déposée par le lac Ojibway.
Ce qui confère une grande qualité à
leurs aquifères d'eau potable : les municipalités
y puisent leur eau. La ville d'Amos a d'ailleurs remporté
un prix en 2001, au concours international de Berkeley
Springs (États-Unis), pour la qualité exceptionnelle
de son eau, puisée au sein de l'esker Saint-Mathieu-Berry.
Celui-ci fait dailleurs l'objet d'un
vif intérêt de compagnies d'embouteillage.
Un récent article d'un journal régional,
Le Trotteur , intitulé "Eaux souterraines
: quand l'histoire se répète" relate l'exploitation
de l'esker Saint-Mathieu-Berry parsemée de déconfitures,
et sinquiète : "la vente récente
des actifs dEaux Vives Harricana à des intérêts
majoritairement américains nous amène à
nous demander si la région ne retombe pas dans
de vieilles ornières dont les conséquences
ne nous sont que trop familières: labsence
de contrôle sur notre développement et lexode
massif des profits".
Comprendre avant d'exploiter
Promesses d'un or bleu à exploiter,
les eskers restent cependant des milieux complexes où
l'eau circule parfois dans une direction, parfois dans
une autre. Chaque découverte amène son lot
de réponses mais aussi ses nombreuses questions.
"Il est plus facile de dater la ressource ou de définir
sa composition que de comprendre la dynamique d'écoulement
de ce milieu complexe. Et il s'avère essentiel
de connaître la provenance et l'écoulement
de l'eau des différents réservoirs pour
appréhender correctement les impacts humains sur
la qualité et la quantité de l'eau : industries,
dépotoirs, etc.", explique Vincent Cloutier.
L'une des choses primordiales à connaître
est la provenance de l'eau de consommation que l'on puise
au sein de l'esker. Pour cela, les hydrochimistes procèdent
à des analyses physiques et chimiques complexes.
"Un seul outil ne donne pas assez d'informations. Pour
raconter l'histoire de l'eau, il faut comprendre le milieu
géologique, la dynamique de l'écoulement
et également savoir d'où elle provient"
précise Vincent Cloutier.
Alors que les compagnies lorgnent sur l'eau,
les chercheurs soulignent la nécessité de
poursuivre les recherches. "Il ne faudrait pas faire
comme avec la forêt. Avant de planifier les débouchés
économiques pour extraire l'eau des eskers, il
nous faut mieux les connaître et s'interroger sur
les impacts liés à l'exploitation ",
soutient l'hydrochimiste Vincent Cloutier. Car si la ville
d'Amos se targue d'avoir l'eau la plus pure, les incidences
humaines et industrielles sur l'esker pourraient changer
l'or bleu en poison souvenons-nous de Walkerton
et décourager tout usage de la ressource.
Isabelle Burgun