Menstruations
La vie en rouge
(ASP) - "Ma tante Sophie est en ville",
"c'est le Viet-nam", "être dans ses crottes", "voir
rouge", "mon clown saigne du nez"; les expressions désignant
les menstruations varient selon l'époque, l'âge
ou le sexe. Ce discours reste cependant toujours négatif
"Le malaise est toujours présent,
relève Karine Bertrand. Celui qui parle des menstruations
va se détacher du corps, préférant
le voir comme un objet que l'on doit traiter", affirme
celle qui en a fait le sujet d'un mémoire de maîtrise
en psychologie sociale à l'université Laval.
Le rapport aux menstruations est intimement
lié au rapport au corps, dont la conception moderne
proviendrait du tournant des XVIe et XVIIe siècles.
"Cette conception implique que lhomme est coupé
du cosmos, coupé des autres et enfin, coupé
de lui-même" écrit le sociologue Le Breton,
cité par Karine Bertrand qui attribue à
cette coupure le profond malaise lié au corps.
La première partie de son mémoire
se consacre à l'histoire de la représentation
sociale des menstruations, depuis les Grecs jusqu'à
nous en passant par la chrétienté. "Cela
a beaucoup évolué mais c'est demeuré
négatif. La religion a beaucoup rejeté le
corps des femmes, objet de reproduction et lieu de souffrances",
sanctionne l'étudiante. Pour sa deuxième
partie, consacrée à l'aspect contemporain,
la jeune femme a interrogé 106 personnes, dont
35 hommes.
Tabous et stéréotypes
Les menstruations font aussi l'objet d'un
intérêt militant. Le groupe féministe
les Blood Sisters a pour vocation de sensibiliser
les femmes à leur santé menstruelle. Il
offre par exemple de remplacer les serviettes hygiéniques
et autres tampons par un kepeer, un contenant de
caoutchouc destiné à recueillir le sang.
Lavable, économique et écologique, il entraînerait
aussi moins de choc toxique à celle qui le porte.
De son côté, Karine Bertrand
a activement milité au sein du groupe de Québec,
Les Fallopes. Cet organisme faisait, entre autres
choses, la promotion des serviettes de coton lavables
et offrait de la formation pour en confectionner soi-même.
Si de nombreux répondants utilisent
encore la formule vieillotte "avoir ses règles",
bien moins se réfèrent réellement
aux menstruations (seulement 17% disent "être menstruée").
"L'utilisation d'une expression a un impact sur notre
manière de concevoir les menstruations, et à
travers elles, le corps de la femme", relève l'étudiante.
Étrangement, de nombreuses citations
réfèrent à des noms, à des
visiteurs mon oncle Georges, ma tante Sophie, etc.
une manière d'en parler sans en toucher mot. Chez
les jeunes, c'est plutôt l'expression "être
patchée" qui est employée. "Cela
ne réfère à rien. C'est plus utilitaire
: tu es malade, tu mets un plaster", tranche Karine
Bertrand. Les hommes font plutôt référence
à la guerre, utilisant des expressions plus masculines
et de combats "les Anglais débarquent"
tandis que les femmes évoquent plus la souffrance,
la douleur et leur propre vécu.
De fait, quand on demande à ces dernières
d'énumérer cinq sentiments, comportements
ou symptômes associés aux menstruations,
ce qui domine, c'est l'irritabilité, la mauvaise
humeur, le mal de ventre, la douleur, la fatigue, etc.
Bien loin des images emplies de blancheur, de pureté
et d'énergie véhiculées par les médias
ou la publicité. "Les spots véhiculent
des stéréotypes et des préjugés
tu te mets une serviette hygiénique et tout
d'un coup, tu es en forme, bien dans ton corps et surtout
enrobée de fraîcheur. Lors de menstruation,
la femme n'est ni propre ni en forme. Cette pression sociale
culpabilise et renforce le malaise". Une manière
de parler du corps en le noyant dans une tornade blanche
de propreté !