La psychiatrie à
l'oeil nu
(Agence Science-Presse) - Si les yeux sont
le miroir de l'âme, pour le Dr Marc Hébert,
ils sont plutôt le miroir du cerveau. Voire de la
maladie mentale. Depuis quelques mois, le chercheur a
entrepris létude de la rétine dun
groupe de patients souffrant de Troubles affectifs saisonniers
(TAS) le fameux " Winter Blues ".
Son objectif : cerner, dans lil
des patients, des marqueurs liés aux TAS. Quel
type de marqueurs? Ceux liés notamment au déséquilibre
chimique de neurotransmetteurs (sérotonine, dopamine),
lun des facteurs présumés de nombreuses
maladies mentales.
La recherche se déroule dans le nouveau
Laboratoire de photobiologie (étude des effets
de la lumière sur le vivant) récemment mis
sur pied par le Dr Hébert au Centre de recherche
psychiatrique Université Laval-Robert Giffard de
Québec (CRULRG).
Lil : un prolongement du cerveau
" Du point de vue de l'embryologie,
l'oeil est partie du cerveau. En fait, le nerf optique
est un long faisceau de neurones qui relient nos yeux
au cerveau ", explique le Dr Hébert,
lui-même spécialisé dans lun
et dans lautre organe. De là lidée
que les débalancements neurochimiques, dans le
cerveau de certaines personnes souffrant de maladies mentales,
pourraient aussi être mesurables
dans leurs
yeux ! " Et loeil est beaucoup moins complexe
à investiguer quun cerveau ", poursuit
le spécialiste.
Il existe une technique relativement récente,
maîtrisée encore par très peu de personnes
une dizaine tout au plus au Canada, dont le Dr
Hébert : lélectophysiologie de la
rétine, appelée aussi électrorétinographie
(ERG). Au cours des dernières années, grâce
à lERG, on a pu mesurer quelque chose dassez
déroutant, chez des dépressifs saisonniers
de Montréal et de Vancouver : une baisse de
sensibilité de la rétine à la lumière.
" On a trouvé ça étrange,
dit Marc Hébert. Pourquoi nétait-ce
pas le contraire ? Pourquoi lil ne compensait-il
pas le manque de lumière en devenant plus sensible
? On a alors posé lhypothèse que cette
perte saisonnière de sensibilité à
la lumière, bien que sans conséquences pour
la vision du patient, pouvait être le résultat
dun débalancement chimique au cerveau. "
Cest ce quon saffaire
à vérifier au Laboratoire de photobiologie
du CRULRG. Au cours de la dernière année,
17 patients souffrant de TAS ont été recrutés.
Les chercheurs ont tenté de voir si les traitements
par luminothérapie quon leur administre peuvent
être corrélés avec un rétablissement
de la sensibilité de lil à la
lumière. " À la lumière
de résultats préliminaires que nous présenterons
bientôt aux Pays-Bas, il semble bien que oui ",
indique Marc Hébert. " Le fait de tenir
un véritable marqueur des effets de la luminothérapie
est déjà en soi quelque chose dimmensément
important. Car même si la luminothérapie
fonctionne pour le traitement des TAS dans 70 % des cas
le même taux dailleurs que les antidépresseurs",
on na jamais su pourquoi.
De là, le chercheur aimerait également
élucider toujours en scrutant lil
quel neurotransmetteur semble le plus influencé
lors du changement de saison et durant la luminothérapie.
Dopamine ? Sérotonine ? " Le sachant,
on pourrait alors proposer aux patients des médicaments
plus adaptés à leur condition. "
Les marqueurs oculaires sont enfin recherchés du
côté dune maladie mentale encore plus
lourde : la schizophrénie.
Multidisciplinarité
Ces rapprochements montrent à quel
point naissent des hypothèses fécondes,
lorsque se mêlent dans un même homme des spécialités
aussi diverses. Effectivement, chose rarissime, Marc Hébert
est à la fois docteur en neurosciences et chercheur
en ophtalmologie clinique. Cela se traduit chez lui par
une double spécialité : lune
en chronobiologie (il sintéresse aussi à
lhorloge biologique2 des travailleurs
de nuit) et lautre en électrophysiologie
visuelle. Cela explique aussi ce faisceau dintérêts
si particulier : " De fait, résume-t-il,
mes intérêts de recherche ont toujours été
liés à laxe lumière-il-cerveau ".
Croit-il que le domaine sera " porteur "
davancées importantes au cours du siècle
qui, comme sa carrière, samorce ? " Je
ne serais pas surpris que lon puisse un jour traiter
différentes pathologies en jouant de la lumière
sur des cibles du corps humain". À lécouter,
lutilisation des photons à des fins biologiques ne
fait peut-être que commencer.
Luc Dupont