Comme billet cette semaine, je vais vous entretenir à propos d’un livre sur les OGM que j’ai lu durant mes vacances estivales (Que voulez-vous, quand on est passionné par un sujet !).

Ce livre, La querelle des OGM, a été écrit par Jean-Paul Oury Ph.D., historien des sciences. L'auteur s'interroge sur l'origine des contestations face aux OGM et explique les controverses sur les risques sanitaires et environnementaux, les effets socio-économiques de ces nouvelles technologies et montre l'importance d'un vrai dialogue pour distinguer ce qui relève de prises de position idéologiques. Il apporte ainsi des "outils" d'information indispensables pour le lecteur.

Afin de mieux vous partager le contenu du livre, je me suis permis d’envoyer quelques questions à monsieur Oury, afin qu’il vous l’explique lui-même. Monsieur Oury s’est aimablement prêté à l’exercice…

Monsieur Oury, au début de votre livre, vous faites l’historique des OGM. Selon vous, quel est le principal mythe véhiculé à leur sujet ?

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Je mettrai en premier lieu ce que j’appelle le paralogisme de Greenpeace : « Tout ce qui est « naturel » est bon, les OGM ne sont pas naturels, donc les OGM ne sont pas bons » Il y a donc un a priori éthique négatif spontanément attaché au nom OGM. Cet a priori considère qu’à partir du moment où le patrimoine génétique d’un être vivant n’est pas issu de la seule reproduction, mais de la transgénèse pratiquée par l’homme, alors il est contre-nature. Et qui dit « contre-nature » dit forcément mauvais.

De ce point de vue, la non-reconnaissance du principe d’équivalence en substance des OGM a joué un rôle fondamental dans l’émergence de la querelle. En posant la différence absolue des OGM, les opposants ont contribué à renforcer l’aspect fascinant de la technologie. Ils soutiennent qu’il y a forcément quelque chose qui nous échappe dans cette technologie et qui nous échappera toujours, une sorte de zone où la raison humaine ne prendra jamais pied. Cette croyance est renforcée par le fait que les caractères induits ne sont pas simplement des caractères phénotypiques, mais ce que je nomme des caractères « phénotechniques » c’est-à-dire que certaines plantes obtenues miment en quelque sorte le geste de l’agriculteur. C’est le cas du maïs Bt, par exemple, qui produit son propre insecticide.

Une autre forme de croyance est sans doute celle que certains industriels ont véhiculée au tout début au travers de certaines annonces en affirmant que tout serait désormais possible et que cette technologie résoudrait tous les problèmes de faim dans le monde. Or toutes les modifications sont loin d’être possibles avec les OGM.

Vous avez donc raison de parler de mythe. Car le propre du mythe c’est de fasciner et les OGM fascinent : ils suscitent à la fois peur, rejet et admiration. Il y a donc quelque chose de comparable à l’intelligence artificielle, ou encore, plus récemment aux nanotechnologies : l’homme a peur de « lâcher dans la nature » une de ses créatures qui finirait par lui échapper et risquerait de se retourner contre lui. Et les opposants ont beau se défendre en disant qu’il ne s’agit pas de peur, mais d’un problème de choix de société, (ce qui est également vrai) jamais auparavant, on avait parlé de flux génétique en termes de contamination.

D’après vous, est-ce que les compagnies de biotechnologies ont été socialement responsables dans le dossier des OGM ? N’auraient-elles pas dû mieux informer la population lorsqu’elles ont débuté la commercialisation des OGM ?

La question de la responsabilité des industriels renvoie tout d’abord à un problème de marketing. En effet, leur grande erreur fut sans doute de laisser Greenpeace annoncer l’arrivée des OGM dans le port d’Anvers plutôt que de prendre le devant et de communiquer sur le sujet. Cela dit, je me demande toujours s’il s’agit d’une maladresse ou du comportement normal d’un industriel qui se contente de baliser son secteur de chalandise en b to b. En effet, pourquoi Monsanto, par exemple, se serait-il chargé de communiquer en direction du public étant donné qu’il ne l’avait jamais fait auparavant? D’ailleurs aucun semencier ni aucun professionnel de l’agro-industrie n’avait pris le pli de communiquer jusque là. Ça ne faisait pas partie de la culture d’entreprise et on n’en voyait pas la nécessité. Ainsi, depuis plus de 50 ans, on bombarde des semences à l’aide de rayon X pour les faire muter et ces semences sont inscrites au catalogue des semences classiques dans l’ignorance du plus grand nombre. Il n’y a jamais eu de campagne d’explication de la mutagenèse, il n’y a pas eu de campagne d’opposition non plus. Après ça, il est toujours possible de se poser la question du complot : « les industriels ont-ils voulu introduire la technologie en douce et sans faire de vague sur le marché? ». Mais on peut également penser que, tout simplement, ils se sont contentés de communiquer, par simple habitude, à destination de leurs « clients » : les agriculteurs. Cette explication ne sert pourtant pas de justification. Mais on le voit bien : toute forme de communication sur les OGM aujourd’hui ressemble à de la propagande et les industriels ont d’ailleurs cessé toute publicité se contentant d’informer. Comment voulez-vous faire la réclame d’un produit pour lequel le public ne peut pas constater par lui-même les avantages? Ou s’il le peut, c’est de manière indirecte, en écoutant ce que lui racontent les experts. C’est en ce sens que dans La querelle des OGM, je parle « d’Echec marketing de la seconde révolution verte ». Je pense que le véritable « test du marché », viendra avec les fameux « OGM de seconde génération », dont les qualités seront ciblées en fonction des attentes du public, de même que les OGM de première génération ont été ciblé en fonction des attentes des agriculteurs.

De leur côté, est-ce que les journalistes ont joué un rôle dans la polémique ?

Comme je le montre au travers de mon étude quantitative (nombre d’articles publiés) et qualitative (lecture critique de ces articles) de la presse écrite française, les journalistes ont plutôt traité les OGM comme un sujet qui relève d’un problème de société plutôt que comme un sujet qui relève du progrès technologique. La raison en est simple et elle rejoint l’explication précédente : à partir du moment où les OGM sont présentés par les opposants comme un sujet polémique touchant le risque alimentaire, et que la technologie ne présente pas d’avantages directs, vérifiables par les consommateurs, il est compréhensible que les médias privilégient l’angle d’attaque des opposants par rapport au point de vue des industriels. Alors effectivement, on peut constater de nombreux manques de déontologie et parfois, disons-le, un manque de sérieux de la part de certains journalistes : je me rappelle le jour où la commission pilotée par Jean-Yves Le Déaut (député français. ndlr) a rendu son rapport, cette meute de journalistes qui a quitté l’Assemblée en même temps que Bové (militant anti-OGM, ndrl) après que celui-ci ait proféré un discours d’une extrême violence… Il était clair qu’ils avaient les images qu’ils attendaient, pourtant la conférence était loin d’être terminée. Cela dit, on ne peut pas expliquer la « polémique publique » par le seul traitement journalistique, ou en disant que ce sont les médias qui ont propagé exprès la peur. D’ailleurs je remarquerai au passage que les opposants, au contraire, sont persuadés que les médias sont à la solde des industriels. Mon explication est donc qu’il existe un « contrat de lecture » qui lie les médias avec leur public. À partir du moment où ce dernier se sent plus concerné, par les crises sanitaires et environnementales que par la possibilité de résorber la faim dans le monde d’ici 50 ans, alors il est compréhensible que les arguments de Greenpeace & cie soient davantage relayés par les médias.

Vous mentionnez à quelques reprises le principe de « cas par cas ». Quel est ce principe ?

Les chercheurs et les industriels parlent habituellement de la « méthode du cas par cas ». De même il est fréquent d’entendre dans les comités d’éthique que l’on doit « raisonner au cas par cas. » J’ai donc tenté de théoriser tous ces usages et de les conceptualiser en parlant de « principe de cas par cas ». Le principe de cas par cas affirme que chaque variété d’OGM doit être jugée dans sa spécificité et ne peut par conséquent être utilisée comme un exemple venant confirmer un jugement idéologique sur la technologie. Ensuite, on doit comparer toutes les solutions technologiques entre elles pour voir ce qui est le plus judicieux. Enfin, aucune solution apportée par la transgénèse végétale ne peut être considérée comme un aboutissement : c’est une étape dans un processus d’amélioration constant, ce en quoi elle est comparable à toutes autres technologies. Il était à mon avis nécessaire de trouver un contrepoids au principe de précaution qui peut faire des ravages, surtout quand, comme en France on se permet de l’inscrire dans la constitution. Le principe de cas par cas se fixe donc cet objectif. Si le principe de précaution est venu au bon moment pour redonner un peu de pouvoir au public face à une science rouleau compresseur qui avance « sans conscience », il y a eu quelques exagérations et l’impossibilité de démontrer le risque 0 fait que le principe de précaution est la porte ouverte aux interprétations idéologiques des résultats scientifiques. Il est donc impératif de s’en référer au principe de cas par cas, pour redonner aux experts un peu de la crédibilité qu’ils ont perdue aux yeux du public, ces dernières années. Et je parle de toutes les catégories d’experts, aussi bien les biotechniciens que les environnementalistes !

Une section de votre livre porte sur le rapport technologie-nature ? Pouvez-vous nous en donner un aperçu ?

Je pense que c’est le nouveau rapport technologie-nature inauguré par les OGM qui se trouve au fond du débat au travers de deux questions : « La transgénèse végétale est-elle spontanément opposée à l’agriculture durable ? » et « les OGM sont-elles des êtres contre-nature ?». La querelle des OGM remet sur le tapis à nouveaux frais une vieille dispute philosophique entre les pensées naturalistes et mécanistes. L’éternel problème est de savoir si la technique peut imiter la nature. Or il existe des « OGM naturels » : par exemple dans le tabac, on trouve du matériel génétique qui n’est pas issu du croisement interspécifique. Tout le problème est donc de savoir si la manipulation du vivant initiée par l’homme peut s’inscrire dans l’évolution et faire aussi bien que la nature. Cette question n’a rien de nouveau, par contre la réponse proposée par les OGM est totalement inédite puisque l’on peut imaginer transformer le vivant en lui imprimant des idées de plus en plus précises et déterminées (les caractères phénotechniques dont je parlais plus haut).

Les OGM sont-ils là pour rester ?

Je n’ai pas pour habitude de faire de la prospective. De même que je m’interdis toute forme d’affirmation du style « la technologie est sans danger ». Je ne peux que fournir des analyses par rapport aux travaux des scientifiques. Cela dit, je m’amuse à faire dans l’ouvrage deux fictions. La première concerne l’exception culturale : il s’agit d’un pays qui aurait fait le choix de ne pas développer la technologie alors que celle-ci se banalise au niveau mondial. La seconde est celle des « PGO », ou plantes génétiquement organiques: ici il s’agit de se projeter dans 50 ans et d’imaginer que toutes les variétés de plantes existantes ont reçu une modification génétique. Il faudrait un effort « surnaturel » pour conserver dans des sortes de musées ces PGO. J’ai vu récemment que Jeremy Rifkin (militant anti-OGM, ndlr) annonçait le dépassement de la transgénèse, grâce aux avancées de la génomique et de la SAM (sélection assistée par marqueurs). Pourquoi pas! Certains chercheurs expérimentent en pleins champs sur des OGM, sachant qu’au final ce ne sera pas un OGM qui sera commercialisé mais un équivalent classique que l’on pourra obtenir après avoir observé les résultats de la « modélisation OGM ». En fait, c’est trivial à dire, mais tout dépendra encore une fois des avancées de la technologie et de l’attitude du public. En tous les cas, une chose est sûre et c’est la seule croyance que je m’accorde : il serait irresponsable d’abandonner une technologie susceptible d’apporter des solutions à de véritables problèmes. Ce qui ne légitime pas toutes les applications que l’on peut faire avec cette technologie.

Finalement, les OGM étant un sujet hautement controversé, comment un dialogue est-il possible entre pro et anti-OGM ?

Ce dialogue est possible, mais il a ses limites. Sur mon blogue, j’invite les lecteurs de mon livre à poursuivre le dialogue en venant discuter mes thèses. J’ai échangé plus de 50 postes avec un opposant à la technologie qui ne m’avait pas lu. Il a décidé de partir sous prétexte que nous avions chacun trop d’a priori. Ce qui démontre à quel point l’idéologie est présente et ce, des deux côtés. En ce qui me concerne, j’essaye de dépasser les prises de positions idéologiques. Et si j’ai l’air plutôt du côté des « pro-OGM », je ne cherche pas pour autant à en faire la promotion. Mon engagement est davantage motivé par la volonté de défendre la liberté de penser et de lutter contre l’obscurantisme. J’ai enquêté pour savoir que penser par moi-même sur le sujet et essaye de ne dépendre d’aucune forme d’idéologie. Aussi, je pense très sincèrement que cette technologie en est une parmi d’autres. Si j’ai bon espoir pour que les industriels utilisent les bénéfices dégagés pour mettre de nouvelles variétés sur le marché, je trouve personnellement qu’il est difficile de défendre le fait que 90% des OGM commercialisés possèdent soit un caractère de résistance au Round up, soit produisent eux-mêmes leur propre insecticide Bt.

Pour revenir au problème du dialogue, je pense avoir démontré qu’il existait des solutions. Tout d’abord, il faut distinguer les controverses et les polémiques : la controverse entre expert est nécessaire. La science progresse et les consommateurs profitent. Il est bien finalement que les environnementalistes et autres experts, mettent des bâtons dans les roues aux biotechniciens, car de la sorte, les normes de sécurité sont plus sévères ; de même, les industriels sont poussés à l’innovation pour échapper aux critiques du risque de la monoculture qui est sans doute le plus gros défaut de la technologie actuellement. Par contre il faut contenir à tout prix les polémiques, car celles-ci en appellent souvent à la violence : il s’agit d’une idéologie qui veut en détruire une autre. En France, on en est là. Un syndicat comme la Confédération paysanne pratique les fauchages sans aucun discernement pour occuper les devants de la scène médiatique et attirer l’attention des médias. Mais le problème est davantage politique et les OGM ne sont qu’un prétexte : ne trouvez-vous pas bizarre que ces gens vont faucher des champs de « semences dangereuses » en bras de chemise et en envoyant femmes et enfants? Or on sait parfaitement que ce que ce syndicat dénonce ce sont les conditions de l’agriculture au sein de la politique agricole commune. Que peut penser alors le chercheur qui voit 5 années d’études réduites à néant par une bande de vandales? Même chose pour l’agriculteur qui retrouve son champ de maïs Bt, une culture autorisée par la Communauté économique européenne, réduite à néant.

Il est donc clair que la violence, pratiquée par certains, dessert la cause de l’environnement et de la sécurité de la chaîne agro-alimentaire. En effet, elle laisse croire que moins de technologie et plus de croyances primitives, exposées sous forme de revendications et à renfort de slogans, valent mieux qu’un procédé industriel d’amélioration de la qualité et de la sécurité qui va du chercheur au consommateur.

Je pense enfin qu’opposants et partisans peuvent se mettre d’accord sur un certain nombre de propositions en ayant recours à une forme de discours que j’ai baptisé « techniciste » et en démontrant que la justification des OGM repose moins sur un principe utilitariste que sur une éthique à l’égard de la recherche et du développement. Pour cela je renverrai le lecteur de votre blogue à mon ouvrage, ayant l’impression d’avoir été déjà trop long.

Références :

Oury, Jean-Paul (2006) La querelle des OGM. Presse universitaire de France, Paris (305 pages).

http://bl-o-g-m.neufblog.com/

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