Les essais cliniques de nouveaux médicaments sont cruciaux pour les compagnies pharmaceutiques, non seulement pour en vérifier l'innocuité et l'efficacité, mais aussi pour en faire la promotion auprès des médecins et même des patients.

Ces essais sont généralement financés par les entreprises elles-mêmes et moins souvent par des organismes indépendants. Leurs résultats peuvent faire l'objet de publication dans les grandes revues scientifiques (The Lancet, The British Journal of Medecine, The New England Journal of Medecine, The Journal of the American Medical Association [JAMA], The Canadian Medical Association Journal, etc.) et l'acceptation d'un article par ces revues prestigieuses leur confère une grande autorité.

Mais doit-on s'y fier ? De plus en plus de révélations ont mis en lumière ces dernières années des conflits d'intérêts non seulement dans le déroulement des essais cliniques, mais dans la publication de leurs résultats. Par exemple, dans son édition du 16 avril 2008, le JAMA a publié un article informant que Merck avait fait signer par des chercheurs universitaires soi-disant indépendants des études préparées par ses propres employés sur le médicament (aujourd'hui retiré) Vioxx ; un autre article du même numéro à propos d'une recherche commanditée sur la maladie d'Alzheimer dénonçait le trafic de données en vue de cacher les effets nocifs du médicament.

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Selon le N.Y. Times (26 mars 2008), plusieurs médecins et chercheurs mettent sur pied des fondations permettant, sans obligation d'en révéler la source, de recevoir un financement d'entreprises pour des essais cliniques. Ainsi, le 26 mars dernier, le New York Times a révélé qu'un projet de dépistage du cancer de poumon a été financé par l'entremise d'une fondation de recherche sur ce type de cancer dont la source principale de financement était… le géant du tabac Liggett & Myers. Pourquoi, direz-vous ? Afin de démontrer que le cancer de poumon n'est pas si grave puisqu'un dépistage annuel, selon l'étude remontant à 2006, pourrait permettre de réduire de 80% la mortalité due au cancer de poumon. Le NEJM n'a que tout récemment reconnu que ce conflit d'intérêts lui avait échappé. Le même article du Times mentionnait aussi la participation des auteurs du projet de dépistage à la mise au point de brevets de scanneurs pour la compagnie GE susceptibles de leur rapporter des millions dans l'éventualité de programmes annuels de dépistage du cancer de poumon.

Toujours en lien avec le NEJM, le Wall Street Journal révélait dans son édition du 18 avril dernier qu'une étude parue l'an dernier y recommandant le recours aux lits résidentiels de bronzage dans les cas de déficience en vitamine D avait été financée par une fondation contrôlée par l'industrie des lits de bronzage.

Il y a de plus en plus de preuves à l'effet que les chercheurs ayant des liens financiers avec des entreprises démontrent une nette tendance à favoriser, dans leurs écrits, ces entreprises. Cela explique sans aucun doute que les études financées par les compagnies elles-mêmes (entre 2/3 et ¾ de toutes les études) ont quatre fois plus de chances de faire part de résultats favorables à la compagnie que celles financées par d'autres sources. Or, une publication d'étude favorable équivaut à des millions en publicité auprès de son lectorat spécialisé.

Toutes les études cliniques n'ont d'ailleurs pas la même chance de se voir publier. Par exemple, d'après une étude rapportée par le N.Y. Times du 15 avril, sur un total de 74 essais cliniques de divers antidépresseurs, 97% des études faisant état de résultats positifs ont fait l'objet de publication contre seulement 12% des études rapportant des effets négatifs. Tout ceci dans un contexte où les compagnies font tout pour réduire la durée des essais cliniques: le même article rapporte que dans le cas de l'antidépresseur Effexor, les essais n'auraient duré que deux ans, ce qui est très inférieur à la moyenne.

On ne saurait se surprendre que la motivation première des compagnies pharmaceutiques ne soit pas la santé publique, mais le profit. Mais se pourrait-il que de leur côté, les revues scientifiques ne soient devenues qu'un outil supplémentaire de marketing pour ces entreprises?

Jean-Noël Ringuet,

professeur de philosophie à la retraite

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