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Déjà vu. En 1997, je découvrais Data Smog... Un des livres des débuts d’Internet les plus injustement méconnus. Aujourd’hui, la surabondance d’information, « la peur de manquer quelque chose d’important », qui constituait son sujet, commence à peine à être reconnue comme un problème.

J’apprenais récemment que cette peur de manquer quelque chose d’important est même en train de faire son chemin comme nouveau mot en anglais : fomo , pour fear of missing out.

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Or, dans Data Smog , un essai du journaliste américain David Shenk, tout était là. Et je me rappelle qu’à l’époque, j’avais eu l’impression d’être devant une synthèse 1000 fois plus nécessaire que toutes les analyses dont l’époque nous serinait alors sur « la révolution Internet » et « tout le monde est son propre média ».

Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, davantage d'information n'est plus nécessairement synonyme de progrès. Davantage d'information peut signifier davantage de confusion, de stress, d’insécurité et même, faire vaciller la démocratie.

Aujourd’hui, ce concept de fomo, présenté récemment par le collègue Fabien Deglise dans Le Devoir , dit la même chose. Angoisse. Stress. À force d’être sur-stimulés par de plus en plus de canaux d’information, il est inévitable que certains d’entre nous souffrent de la version 21e siècle du syndrome du déficit d’attention. Cette impression « de ne jamais être capable de rattraper le flot d’informations », de nouvelles, de courriels, de mise à jour Facebook, de twits, qui nous sont soi-disant nécessaires pour fonctionner.

Toute technologie a ses conséquences positives et négatives sur une société. [...] Toute technologie introduite dans notre écosystème humain arrive avec un ensemble de conséquences, les unes prévisibles, les autres inattendues. Tout comme les automobiles n’ont pas seulement été une grande force de libération mais aussi l’un de nos plus dangereux pollueurs.

La sociologue américaine Sherry Turkle, qui elle aussi a marqué la réflexion des années 1990 —du moins, chez les universitaires— écrit dans son dernier livre ( Alone Together: Why We Expect More From Technology and Less From Each Other ) que nos rapports avec la technologie ont été profondément immatures. Ce serait seulement aujourd’hui, deux décennies plus tard, dit-elle, que nous serions en train de gagner du terrain.

Immatures, nous? Comme ces blogueurs qui écrivent sans rire que, puisque tout le monde sera un jour branché sur quelque chose 24 heures sur 24, plus besoin de journaux, puisqu’on pourra tout savoir sur tout le monde, partout, tout le temps. Allô?

Immatures, nous? Comme cet autre qui passe la journée —et une partie de la nuit— pendu à son téléphone « intelligent », à répondre aux commentaires de son blogue toutes les 3 minutes et à vérifier ses courriels toutes les trois secondes... Et qui, un an plus tard, sent tout à coup le besoin de dire à la Terre entière que, tout bien réfléchi, la société ne s’écroulera pas s’il prend un peu de temps.

La conséquence: on avale de l'information, de plus en plus et de plus en plus vite. Mais on a oublié en chemin qu'il existait une différence entre avaler de l'information et la comprendre.

Ce serait juste un problème psychologique si ce n’était pas un risque pour la démocratie, rien de moins. Car si on butine, si on survole, si on effleure, pas étonnant qu’on ne retienne que l’animateur de radio qui gueule le plus fort, la phrase la mieux torchée sur Twitter, ou bien qu’on soit captivé, sur CNN, par des heures de mises à jour superficielles et répétitives, au détriment du temps passé à réfléchir sur les plus grands enjeux. Vous savez, ces choses qu’on appelle « les choix de société »? Pas facile à résumer en 140 caractères...

Cela réduit notre temps d’attention. Ça nous rend insensibles à tout ce qui ne nous fait pas faire une embardée ou ne nous saisit pas à la gorge. En nous désensibilisant, [cela a aussi pour effet] d'écarter certains de nos meilleurs penseurs du coeur des débats publics. Si quiconque doit être sensationnel et dramatique pour attirer l’attention...

C’est ce que j’avais retenu en 1997 de Data Smog, et je pensais alors, oh combien naïvement, que ce livre était un signe que nous commencions enfin à prendre du recul face à la surabondance d’information sur Internet. Quinze ans plus tard, fomo et Sherry Turkle combinés, on en est à envisager la possibilité de commencer un début d’amorce de prise de conscience.

Le véritable enjeu de futures technologies ne semble pas être la production d’information, et certainement pas sa transmission. Pratiquement n’importe qui peut ajouter de l’information. La question difficile est comment la réduire.

Que conseille fomo comme solutions à cette « crise »? Soyez votre propre filtre, plutôt que de vous fier aux « agents intelligents » d’Internet. Limitez le nombre de fois à l’heure que vous consultez vos courriels. Résistez à la publicité. Éteignez la télé de temps en temps, spécialement les réseaux d’information continue.

Ah non, pardon, c’est David Shenk qui proposait ça dans Data Smog en 1997. Si quelqu’un veut le relire à ma place, j’ai une copie. N’a servi qu’une fois.

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