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Nous sommes en 1941, et les services de renseignement américains transmettent une nouvelle alarmante à quelques spécialistes triés sur le volet. Des scientifiques allemands seraient parvenus à extraire du cortex des surrénales bovines une hormone permettant aux pilotes de voler à haute altitude, et ce, sans masque à oxygène. Dans le cas où cette information se révélait exacte, l’armée de l’air allemande bénéficierait d’un avantage marqué par rapport aux pilotes alliés.

Bien que de prime abord cette donnée semble pour le moins farfelue, elle repose néanmoins sur de véritables fondements scientifiques. À l’époque, on savait déjà que des extraits de la couche externe des ces glandes, perchées sur la partie supérieure des reins – d’où elles tirent d’ailleurs leur nom – contrecarraient le manque d’oxygène chez la souris. Malgré cela, les connaissances ayant trait aux surrénales et à leurs applications médicales étaient fort restreintes. En 1902, deux chercheurs anglais, Maddock Bayliss et Ernest Starling, avaient démontré que les surrénales, de même que d’autres glandes comme la thyroïde et l’hypophyse, transmettaient des « messagers chimiques » capables de stimuler d’autres régions du corps. Ernest Starling avait choisi le terme hormone, du grec hormôn qui signifie « exciter », pour décrire cette nouvelle classe de composés. Mais en 1941, en dépit de cette découverte, la nature exacte de ces molécules et de leur mode d’action demeurait un mystère que le biochimiste américain Edward Kendall, l’un des scientifiques contactés par les services américains, s’attachait à résoudre depuis plusieurs années, à partir de son laboratoire de la Clinique Mayo située à Rochester, au Minnesota. Malheureusement, il ne disposait pour cela que de moyens limités.

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Les répercussions militaires entourant l’information ayant trait aux aviateurs allemands amenèrent les autorités à consacrer d’importantes sommes aux travaux de recherche de Kendall, en particulier pour identifier une hormone provenant des surrénales que le scientifique avait surnommées « Composé E ». Grâce à cet apport d’argent, Kendall, en collaboration avec la compagnie Merck, était arrivé à isoler 500 mg du Composé E. Pour ce faire, il utilisa 500 kg de surrénales bovines, pour un rendement de 0,0001 %. Soulignons que le chercheur indépendant suisse Tadeus Reichstein était parvenu au même résultat. Quoi qu’il en soit, aucun progrès n’était envisageable avant le développement de techniques permettant d’accroître la production du Composé E. Ce n’est qu’en 1948, soit bien après la fin de la guerre, que la compagnie Merck mit au point un processus  à  ces fins à partir d’acides biliaires bovins. Il fut alors possible de produire le composé en quantité suffisante afin d’effectuer des essais cliniques. À la suite de cette innovation, Philip Hench, rhumatologue de la Clinique Mayo, utilisa le composé pour traiter une patiente handicapée atteinte d’arthrite rhumatoïde. Les résultats obtenus alors surpassèrent toute espérance. Après une semaine, les symptômes dont la patiente était affligée disparurent et cette dernière put reprendre une vie normale. Pour la première fois, un traitement efficace avait été développé pour cette terrible maladie. On peut se demander que ce qui amena Philip Hench à utiliser ce nouveau composé pour le traitement de l’arthrite rhumatoïde. On savait déjà que les femmes atteintes de cette maladie ne manifestaient plus aucun symptôme lors d’une grossesse; ce qui est également le cas lors d’une jaunisse. Soutenant que le Composé E était synthétisé par l’organisme en plus grande quantité durant ces événements, Philip Hench décida de l’utiliser pour le traitement de l’arthrite rhumatoïde, dès que des quantités suffisantes furent disponibles.

Aujourd’hui, la cortisone – soit le nom donné par Kendall et Hench au Composé E – est utilisée de manière restreinte pour l’arthrite rhumatoïde en raison des nombreux effets secondaires qui y sont associés. Toutefois, elle a joué un grand rôle dans le traitement d’autres conditions où il y a inflammation. D'autre part comme la cortisone a pour effet de déprimer le système immunitaire, elle est aussi utilisée dans le traitement de maladies auto-immunes. Hench, Kendall et Reichstein reçurent le prix Nobel de physiologie et médecine en 1950 pour leurs travaux.

Ironiquement, l’information selon laquelle l’objet de ces travaux était de permettre aux pilotes de voler en haute altitude s’est révélée fausse. En aucun moment des chercheurs allemands n’ont-ils mené des travaux sur des surrénales bovines dans ce but. Mais heureusement, les services de renseignement américains y ont cru. Et pour cela, des millions de personnes aux quatre coins du monde les en remercient.

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