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Réflexion sur certains enjeux de pouvoir propres à la publication scientifique

Cette nouvelle controverse met en action un ancien "jeune chercheur" qui affirme être le principal auteur de l'article qui a valu le prix Nobel de médecine au directeur de son laboratoire, dont le plus grand mérite semble être les contacts et l'habileté politique.

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Cette affirmation me semble - hélas pour l'intégrité de la science - être entièrement crédible et décrire un état de situation fréquent en recherche biomédicale, en sciences de la nature et en sciences de l'éducation. En effet, dans ces sciences, la pratique "normale" est d'attribuer chaque article publié dans une revue scientifique à de nombreux co-auteurs : les chercheurs principaux, les co-chercheurs, les assistants de recherche et même parfois les dirigeants du laboratoire qui ne connaissent même pas le contenu de la recherche ainsi publiée. Cette pratique valorise certes le travail d'équipe, mais assure aussi à chaque co-auteur une publication supplémentaire à mettre dans son cv, notamment dans le cas des directeurs ou directrices de thèse qui mettent leur nom à côté de celui de leur étudiant-e même si tout le travail (recherche et écriture) a été effectué par l'étudiant-e. Cette pratique a beaucoup moins cours en sciences humaines et sociales où, en général, seul signe un article celui ou celle qui l'a écrit, mais il ou elle doit mentionner dans ses remerciements toutes les personnes et institutions qui l'ont appuyé-e.

Il semble que le principe qui justifie cette pratique est que le directeur ou la directrice du labo, de l'équipe ou de la thèse a fourni l'argent et les moyens techniques nécessaires à la recherche. Ce principe est fragile face à la corruption: qu'arrivera-t-il quand les organisations commanditaires voudront mettre le nom de leur PDG parmi les co-auteurs d'un article sur la recherche qu'elles ont financées?

Les directeurs et directrices ont peut-être aussi donné leur avis sur le texte à un moment donné ou partagé une idée avec l'auteur : leur statut de co-auteur leur serait donné en contrepartie? Une idée doit-elle ainsi toujours être rémunérée symboliquement?

Une autre possibilité est que l'auteur du texte ne soit qu'un rédacteur technique qui applique un modèle déjà prévu d'écriture d'article scientifique. Dans ce cas, qu'est-ce qu'être un chercheur?

La pratique qui a cours en sciences biomédicales, de la nature et de l'éducation montre que les rapports hiérarchiques dans l'institution scientifique se reflètent dans l'écriture des articles scientifiques. Certes, dans certaines revues scientifiques, la description de la répartition des responsabilités dans la fabrication du texte est clairement indiquée (certaines revues médicales l'exigent en raison du phénomène du Ghostwriting), mais dans la plupart des revues, ce n'est pas encore une pratique adoptée.

Les étudiants tolèrent cette pratique probablement pour "faire comme les autres", parce qu'ils en profitent quand leur nom apparaît sur un article auquel ils n'ont pas contribué ou par crainte de déplaire à la hiérarchie universitaire qui leur attribue des bourses et une place dans les laboratoires.

Il est temps que la discussion commence sur cette pratique dont les valeurs sous-jacentes ne semblent pas très compatibles avec l'idéal d'une science non marchande, généreuse et ouverte sur le bien commun.

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