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Dans cette histoire d’espionnage de nos communications électroniques, dévoilée depuis une semaine, il y a tout de même un aspect qui en a réjoui quelques-uns: l’identité hybride, à la fois blogueur et journaliste, du dénommé Glenn Greenwald, auteur du scoop au quotidien The Guardian. Coïncidence, alors qu’on accepte de plus en plus cette hybridation chez les scribes, des voix s’élèvent chez les scientifiques pour la dénoncer.

Greenwald possède une formation en droit, qui l’a conduit au journalisme, qui l’a conduit au blogue. Il s’est notamment fait connaître au magazine en ligne Salon, où il s’est spécialisé dans la défense des libertés civiles, et a été repêché l’an dernier par The Guardian —où il porte autant les chapeaux de blogueur que de journaliste. Bref, le modèle même de ces hybrides (dont on a parlé ici et ici) qui font que le débat «êtes-vous un journaliste ou un blogueur» a de moins en moins de raisons d’être dans l’univers journalistique.

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Or, en quelques semaines, trois coups de gueule donnent l’impression que du côté des scientifiques, ce débat n’a pas encore commencé. Dans un éditorial publié ce mois-ci, Geoffrey North, rédacteur en chef de l’influente revue Current Biology, écrit :

Les blogues sont essentiellement des «publications égocentriques» [vanity publications] auxquelles manquent les contraintes de la publication plus traditionnelle.

Ce n’est pas sans rappeler un paragraphe d’une recherche par ailleurs excellente, qui, en mars, se risquait à interpréter, dans ses conclusions, pourquoi les scientifiques lisent moins de blogues que de journaux :

[Les billets de blogues] sont souvent écrits à la va-vite, sans l’aide de rédacteurs en chef expérimentés qui peuvent pointer des trous dans le récit ou peuvent insister sur une réécriture. Les billets de blogues tendent aussi à être plus courts, sans le type de complexité et de nuance possible dans le journalisme de longue haleine.

Point commun à ces deux citations: nulle part leurs auteurs ne jugent nécessaire de fournir la moindre donnée, le moindre exemple, la moindre analyse, pour appuyer leur jugement négatif.

Troisième intervenant, Fred Schram, rédacteur en chef du Journal of Crustacean Biology, y est allé aussi de la même diatribe, dans le bulletin de son association :

On peut déjà voir ce qui miroite au bout de la route [de l’accès libre] : la blogosphère! Mais voulons-nous vraiment amasser notre information académique par un suivi des blogues personnels? Il n’y aura pas de révision par les pairs, pas de contrôle de qualité des données présentées, pas de PDF fixe, pas d’assurance que ce que nous lisons représente un véritable travail tel que prétendu.

En plus du frisson d’horreur qui semble parcourir l’auteur, on notera le choix de son adjectif : des blogues personnels, plutôt que des blogues tout court. Comme si l’avenir n’était réservé qu’à un seul type de blogue: l'auteur qu’on ne connaît ni d’Eve ni d’Adam, qui écrit à la sauvette, nous fait part de ses opinions... Et ce, sans s’appuyer sur des exemples ni justifier son analyse: jamais il ne viendrait à l’esprit d’un rédacteur en chef d’une revue scientifique de faire une chose pareille.

Ces peurs sont-elles représentatives d’un malaise plus profond qu’on ne le soupçonne, à mesure que la communauté scientifique —avec plusieurs années de retard sur les journalistes— découvre l’existence d’une blogosphère active et organique? Difficile à dire: après tout, c’est dès 2005 que la revue Nature, en éditorial, encourageait les scientifiques à s’approprier les nouveaux outils de communication. Et parmi ceux qui l’ont fait, on en compte plusieurs qui utilisent d’ores et déjà les blogues pour communiquer avec d’autres experts : ici, carnet de laboratoire, là, expériences de conversations autour d’une recherche publiée qui soient plus larges que la traditionnelle révision par les pairs, là encore, critique en profondeur d’une certaine bactérie à l’arsenic. Des usages du Web 2.0 qui sont très loin de la seule expression d'opinions.

Le fait que le discours appréhensif se rende jusque dans la page éditoriale d’une revue prestigieuse, ou dans les colonnes d’une recherche jusque-là rigoureuse, témoigne-t-il que le débat «blogueur versus journaliste» va muter en «revue scientifique versus blogue»? À suivre.

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