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En 2004, je travaillais chez ABB Bomem sur la conception préliminaire (une phase A dans le jargon) d’un radiomètre à bande large pour la mission Earthcare de l’Agence Spatiale Européenne. Ce travail se déroulait dans un contexte où nous étions partenaires avec Alcatel Espace et en compétition avec Astrium. Finalement, c’est le consortium d’Astrium qui a eu le contrat et je n’ai plus porté attention à ce projet.

Or, il y a quelque temps, je suis tombé sur une nouvelle parlant de cette mission et suis allé revisiter le site. C’est alors que j’ai découvert avec stupeur et contentement que c’est essentiellement notre concept qui avait été choisi et non pas celui d’Astrium! La différence fondamentale résidait dans la géométrie de l’instrument. Dans le concept d’Astrium, les trois télescopes étaient côte à côte dans un rouleau, alors que dans le nôtre, ils étaient dans un même plan. (Voir la deuxième image) C’est cette géométrie qui a été reprise dans la version finale de l’instrument. Il y avait aussi d’autres différences plus subtiles. Ainsi, notre concept utilisait des télescopes avec des miroirs hors axe et un détecteur monopixel. Astrium des télescopes sur l’axe et des détecteurs multipixels. Notre choix technique était dicté par l’importance de la précision photométrique absolue dans la conception de l’instrument.

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En effet, le radiomètre à bande large, BBR pour les intimes, sert à mesurer le bilan radiatif de la Terre. Il mesure donc la lumière qui est réfléchie et réémise par la Terre. Pour être certain de ne rien manquer, il doit pouvoir détecter toute la lumière entre 0,2 et 50 µm, c’est-à-dire des ultraviolets à l’infrarouge lointain avec le même instrument. De plus, il doit avoir la réponse spectrale la plus plate possible afin de ne pas être affecté par le spectre de la scène.

Cela a de conséquences draconiennes. D’une part, seuls les détecteurs thermiques peuvent couvrir ce domaine spectral. Essentiellement, ce sont des détecteurs dont la conductivité électrique change avec la température. Petit problème, ils ont à peu près les mêmes performances qu’une roche — traduction «pourrie» — et le signal doit être modulé pour être lisible.

Il faut utiliser un obturateur qui cache le champ de vue rapidement afin de mesurer le signal de la scène. Cela est fait par une espèce de cage d’écureuil qui tourne devant les télescopes. Pour ajouter au plaisir, il fallait aussi séparer la lumière entre les courtes longueurs d’onde et les grandes longueurs d’onde. La frontière se situant à 4 µm. Cette longueur d’onde est choisie, car la Terre y est particulièrement sombre, ce qui permet de séparer proprement la lumière réfléchie et la lumière émise. En passant, le seul matériau pouvant faire office de «filtre» est du Suprasil™ 300. C’est une forme de quartz synthétique traité afin de ne pas contenir d’ion OH, ce qui le rend particulièrement transparent de l’UV à l’infrarouge. Bref, dans le cas présent, le filtre est à peu près la matière la plus transparente qui existe.

La grande difficulté lorsque l’on travaille dans l’infrarouge est que l’instrument lui-même est chaud. Cela a pour conséquence qu’il faut passer son temps à étalonner en observant un corps noir de précision. Là était le gros avantage de notre concept : chaque télescope voyait le corps noir de la même façon. De même, chaque télescope voit le même chemin optique que les autres, ce qui limite les problèmes de comparaison.

De même, le choix des télescopes hors axe n’est pas anodin. C’est une façon de limiter la lumière diffusée, car le chemin optique reste propre, car il n’y pas de support qui tient le détecteur. Je me souviens de m’être écrié tout joyeux «On va utiliser des herscheliens!» à notre concepteur optique quand l’idée m’est apparue. (hershelien réfère aux télescopes de l’astronome William Hershell) De plus, les télescopes sont recouverts d’aluminium, car c’est le matériau qui a la réponse spectrale la plus uniforme sur ce domaine spectral étendu.

Dans le visible, l’étalonnage fourni par des diodes de référence. Malheureusement, les diodes ont tendance à vieillir et il faut donc une référence externe. La solution préférée est la diffusion du Soleil sur une feuille de Spectralon™. Ce matériau est le plus blanc qui existe et est n’est ni plus ni moins que de la poudre de Téflon™ compactée. Étant donné que le Spectralon™ tend à vieillir lui aussi, on utilise généralement deux plaques dont une qui ne sert que très rarement. Il est à noter que ce type d’étalonnage n’est possible que dans des positions particulières de l’orbite, car il faut être en mesure de voir le Soleil. Il est donc fait que de façon sporadique.

Hormis les problèmes liés aux performances photométriques, il y a deux difficultés techniques qui nous avaient donné du fil à retordre. La première était le coalignement des scènes de vue. En effet, le BBR a trois champs de vue distincts pour observer la scène sous trois angles. Cela provoque un décalage dans le temps pendant lequel la Terre a le temps de tourner. Il a fallu donc concevoir un système mécanique pour déplacer légèrement le télescope afin que les champs de vue restent alignés. Pour la petite histoire, on avait négligé ce phénomène au début et on a dû rajouter le mécanisme après coup. L’autre problème était le contrôle thermique. En effet, on nous avait placés exactement dans le centre de la face nadir du satellite. Sur un satellite, c’est le pire endroit pour se refroidir. En effet, on se trouve directement face à la Terre qui emplit le champ de vue. On doit donc essayer de se refroidir avec un objet qui est à 15 °C en moyenne. Dans l’espace, c’est plus facile de se refroidir face au Soleil! Sans compter que l’électronique de lecture des télescopes était dans une boite fermée dans une boite fermée! Bref, rien pour aider à sortir la chaleur.

Malgré ses ressemblances, le concept final comporte des différences significatives avec le nôtre. Ainsi, c’est les sources d’étalonnage qui se déplacent au lieu des télescopes qui se tournent vers elles. De plus, le design choisi utilise des détecteurs multipixels. Ces détecteurs (conçus et fabriqués à Québec, par l’Institut National d’Optique en passant) sont probablement plus sensibles. Cependant, mon aversion pour les détecteurs multipixels vient du fait que dans l’infrarouge la taille des pixels devient de l’ordre de la longueur ce qui tend à créer des inhomogénéités dans la réponse spectrale. Quand on veut une radiométrie superpropre, ce n’est pas nécessaire le meilleur choix. Cependant, avec des pixels de 100 µm, l’effet devrait être limité.

Il ne reste plus qu’à attendre 2015 pour voir, si tout se passe aussi bien dans l’espace qu’au labo.

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