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Alors que nous dépassons des milliards en R&D afin de résoudre des problématiques de santé, le biomimétisme nous suggère que nous devrions chercher les solutions dans la nature.

Ce billet a d’abord été publié sur le blogue Hinnovic.

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La recherche et développement accapare des centaines de milliards de dollars par an dans le monde, mais au lieu de vouloir souvent réinventer la roue, ne devrions-nous pas copier ce que la nature a déjà inventé? Cette démarche qui consiste à adapter les solutions innovantes et efficaces qui ont émergé dans la nature peut être appliquée avec succès dans de nombreux domaines, incluant les innovations en santé.

La nature, un réservoir de génies

«Dans nos sociétés modernes, nous avons tendance à oublier que nous vivons dans un univers compétent, que nous faisons partie d’une planète intelligente et que nous sommes entourés de génies». Voilà comment Janine Benyus présente la science du biomimétisme lors d’une présentation TED. Cette biologiste de formation est aussi consultante en innovation et a publié six ouvrages sur cette «nouvelle discipline scientifique qui étudie les modèles présents dans la nature et qui cherche à reproduire leurs formes, leurs processus et leurs stratégies afin de résoudre les problèmes des êtres humains». Depuis son apparition il y a 3,8 milliards d’années, la vie a en effet eu tout le temps de développer des solutions innovantes et très efficaces, tout en s’adaptant aux conditions de l’environnement sans le détériorer, ce qui fait dire à Janine Benyus que «nous ne sommes pas les premiers à construire des choses complexes, comme des habitats complexes ou à créer des parois étanches.» On peut donc dire qu’avec nos maigres 200,000 ans d’innovations, nous faisons pâle figure.

Quelques exemples concrets de biomimétisme appliqué à la santé et à la médecine

Les premiers requins sont apparus il y a un peu plus de 400 millions d’années durant le dévonien et ils sont toujours là aujourd’hui, preuve que certaines de leurs caractéristiques évolutives ont été des succès dans le grand jeu de l’innovation de la vie. Pour preuve, la peau des requins est formée de denticules dont la forme et l’agencement empêchent les bactéries et les parasites de pouvoir se fixer en créant une surface instable. C’est en quelque sorte un répulsif bactérien naturel. C’est donc en étudiant au microscope la peau des requins que des chercheurs ont eu l’idée de copier celle-ci afin d’adapter l’innovation de la nature au domaine médical. Imaginez des murs d’hôpitaux enduits d’un revêtement qui peut réduire de 80% la prolifération d’une bactérie comme E. coli ! Alors qu’ils portent encore une mauvaise réputation aux yeux de beaucoup de monde, les spécialistes en biomimétisme pensent que nous devrions voir les requins comme de grands enseignants.

Autre exemple intéressant avec les tardigrades, de petits animaux d’un demi millimètre d’épaisseur appelés «les survivants de l’extrême», car ils peuvent résister à des environnements défiant l’imagination. Une de leurs caractéristiques extraordinaires est de pouvoir vivre en condition d’anhydrobiose, ce qui signifie «la vie sans eau». Cet état particulier implique que l’organisme vivant se dessèche littéralement pour fortement ralentir voir totalement arrêter son métabolisme dans le cas du tardigrade. En fait, les tardigrades remplacent l’eau de leur corps par un sucre qui permet de maintenir l’intégrité des cellules. Ils peuvent résister ainsi à des températures glaciales ou à des pressions titanesques (certains spécimens ont résisté à une température de -253˚C, proche du zéro absolu, pendant quelques heures ou encore à une pression de 600MPa, l’équivalent de la pression au fond d’un océan fictif de 60km de profondeur). La compréhension des techniques de survie utilisées par ce petit animal pourrait découler vers des innovations technologiques dans le domaine médical ou pharmaceutique. On peut ainsi mentionner de manière non exhaustive la conservation des vaccins qui ne nécessiterait plus d’avoir recours à la congélation et donc à l’impératif de ne pas rompre la chaîne du froid ou encore la transfusion sanguine comme l’explique cet article scientifique paru dans la revue Biotechnology Advances.

Finalement, on reste dans les petites bêtes avec le «ver de château de sable» (sandcastle worm en anglais). Une équipe de chercheurs de l’Université de l’Utah dirigée par Russel Stewart a découvert en 2010 que Phragmatopoma californica, une espèce de ver marin, sécrète une colle qui lui permet de construire son habitat en agglomérant ensemble des grains de sable et de petits fragments de coquillages. L’exploit, c’est que cette colle fonctionne très bien sous l’eau et elle durcit très rapidement. Quel est le rapport avec la santé? Les fractures multiples. En effet, lors d’une telle fracture, il peut être très difficile de recoller les petits fragments d’os et la guérison est très longue. L’équipe de Stewart a donc copié la technique utilisée par ce ver marin et l’a même améliorée en créant une colle deux fois plus efficace, biodégradable et non toxique.

Repenser les processus d’innovation et de design ainsi que la R&D

Suite au succès de son livre Biomimicry: Innovation Inspired by Nature , Janine Benyus a décidé de créer en 2006 le Biomimicry Institute, un organisme à but non lucratif dont la mission est de «rendre normal l’acte de se demander si une solution existe dans la nature dans tout projet d’invention». L’institut a même développé le portail asknature qui permet de poser une question à un moteur de recherche dans le but de découvrir quelle(s) solution(s) a trouvé la nature pour répondre à une problématique. Il s’agit en quelque sorte d’une démarche d’apprentissage, car comme le souligne Benyus: «il existe une différence fondamentale entre apprendre sur la nature et apprendre de la nature.» On voit donc que tout comme d’autres domaines, l’innovation en santé a fortement à gagner du biomimétisme et de l’approche qui consiste à se demander si une solution n’existe pas déjà dans la nature. Ce doit être aussi une forte raison de mieux protéger la biodiversité, car à cause de nos activités (fracturation des habitats, réchauffement climatique, pollution), nous sommes littéralement en train de détruire des génies! Et l’heure est grave, car selon les plus récentes recherches, la perte de la biodiversité est une des pires conséquences de l’Anthropocène, l’ère géologique qui marque désormais notre empreinte sur la biosphère. Devrait-on systématiquement inclure un biologiste dans chaque projet de R&D ou au sein des départements de design? Poser la question, c’est y répondre.

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