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Je suis très heureux de vous présenter aujourd’hui le film « Henri Laborit – Itinéraires » qui demeure à ma connaissance le seul documentaire à avoir été tournée sur Laborit. Il était difficilement accessible en France et pratiquement introuvable en Amérique. Je l’ai moi-même découvert il y a quelques années seulement, alors que toutes les entrevues filmées de Laborit m’étaient connues depuis fort longtemps et que j’avais vu Mon oncle d’Amérique une bonne dizaine de fois.

L’émotion fut donc au rendez-vous de découvrir ainsi « sur le tard », une œuvre intimiste aussi riche, coréalisée de surcroÎt par son fils Philippe (avec François Chouquet). J’espère qu’il en sera de même pour vous et je remercie chaleureusement le Fonds Laborit pour l’autorisation et David Batéjat pour la numérisation de la cassette VHS produite en 1996 par le Centre national de documentation pédagogique (CNDP) qui se trouvait quelque part dans le sous-sol de la bibliothèque de la faculté de médecine de l’Université Paris XII Val de Marne, à Créteil.

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Le film est construit à partir d’entretiens avec Laborit ainsi qu’avec sa femme, Geneviève Laborit, qui offre un témoignage unique capté un an environ avant son décès en 1997 (on peut le déduire puisqu’elle mentionne que Laborit est décédé récemment au début du film, décès survenu le 18 mai 1995). Je dis « le film », mais on devrait plutôt parler « des » films, puisque le tout est scindé en quatre parties relativement autonomes de 16 à 18 minutes avec générique de fin après chacune.

Mais l’écoute successive des quatre parties forme un tout cohérent de 1 heure 9 minutes, la première partie ayant d’ailleurs un deux minutes d’introduction de divers souvenirs évoqués par Geneviève Laborit et monté sur des photos d’archive.

Cette première partie s’intitule « L’exercice du doute », la seconde « Le besoin de comprendre », la troisième « Le désir d’apprendre » et la quatrième « Imaginer ». On y discerne donc déjà en filigrane des thèmes importants de l’œuvre de Laborit, mais également l’évocation de la trajectoire générale de sa vie scientifique.

Cliquez sur ce lien https://www.youtube.com/watch?v=KcptPhZgl0M pour écouter le film. Vous pouvez aussi bien sûr le mettre plein écran en cliquant sur l'icône en bas à droite.

Comme je le fais pour les articles présentés dans ce site, je me suis amusé à sortir certaines phrases-clés et moments forts de chacune des quatre parties (les citations non attribuées sont d’Henri Laborit).

  • I- L’exercice du doute
« Le doute, ce n'est pas la négation, c’est l’attente de quelque chose d’autre. C’est lié au fait qu’il y a de nombreux niveaux d’organisation… Il s’agit de ne jamais croire qu’on a réussi à appréhender l’ensemble. »

« Au fond, le problème est là : qu’est-ce que je suis venu foutre sur cette planète ? Qu’est-ce que ça signifie ?... Si l’on ne se pose pas ces questions, l’on devient ce que l’ensemble social nous a dit de faire. Quand on lit sur une pierre tombale « Bon fils, bon époux, bon citoyen, priez pour lui. », on oublie de mentionner que le type est mort impuissant à 45 ans d’un infarctus du myocarde avec une démence sénile précoce. Bref, il n’était pas heureux dans sa peau parce qu’il ne pouvait pas contrôler, agir pour son bien-être dans le monde qui l’entoure. »

Intertitre : De l’exercice du doute à l’invention (chaque partie comporte un intertitre que je mentionnerai à chaque fois)

Geneviève Laborit résume les grandes étapes qui ont mené à la découverte de la chlorpromazine, le respect que vouait Laborit à René Leriche, la reconnaissance de ses travaux sur le choc par le prix Albert Lasker en 1957, etc.

Cette section montre aussi en contre-champ l’homme qui fait l’entrevue et qui est probablement Philippe Laborit.

  • II- Le besoin de comprendre
Cette partie commence avec de rares plans tournés dans le laboratoire de Laborit à l’hôpital Boucicaut.
« Les gens veulent des drogues alors on va leur en donner. Mais enfin, moi ce que je veux, c’est de comprendre. Si la molécule qu’on a synthétisée s’introduit comme on l’a imaginé dans un mécanisme biologique, alors on poursuite avec notre hypothèse. Sinon il faut aller ailleurs sur une autre piste… »
Intertitre : De la biologie au comportement

Laborit reprend les différents processus à la base de nos comportements, en commençant par les plus primitifs, les plus pulsionnels, liés au bien-être de notre milieu intérieur et donc à la survie de l’organisme. Puis les systèmes de mémoire qui sont associés pour lui à l’expression de notre affectivité et qui ont aussi une grande valeur de survie en permettant de reproduire les stratégies qui nous ont donné du plaisir et celles qui nous ont permis d’éviter les punitions. Donc de permettre la fuite ou la lutte efficace, ou même l’inhibition de notre action, temporairement (car chroniquement cela a des effets désastreux sur la santé). Tout cela étant facilité chez l’être humain par notre gros cortex « associatif » facilitant les liens et les analogies que l’on peut faire entre les événements.

Et à travers cet exposé, Laborit écorche au passage l’origine fallacieuse de mots comme le courage qui n’est pour lui qu’un conformisme qui va bénéficier qu’à l’ensemble social qui l’a défini et pas à l’individu.

  • III- Le désir d’apprendre
Cette partie commence avec un extrait d’un texte de Laborit écrit pour un colloque tenu en 1994 intitulé « Réforme de pensée et système éducatif » que l’on peut lire ici.

Geneviève Laborit dit ensuite qu’elle n’a rien à ajouter, mais rappelle que ce qui était important pour Laborit était d’essayer d’être « polyconceptualiste » (maîtriser les concepts de plusieurs disciplines), ce qui n’est pas facile.

Claude Grenié, à qui Laborit parlait dans son bureau dans des scènes précédentes, prend la parole pour relater son expérience d’enseignement des concepts laboritiens à des jeunes de 14 ans et comment ceux-ci se sont montrés réceptifs. Au point de confronter des pilotes de ligne avec ces concepts !

Laborit rappelle ensuite qu’on peut voir l’imagination comme une forme de liberté, mais une liberté contrainte par la motivation qu’un individu peut avoir et par la richesse de ses connaissances accumulées sur le monde.

Intertitre : De la connaissance à la création

Robert Zerbib, un biologiste pharmacologue du labo de Laborit, lui demande ce que représente pour lui la création scientifique et en quoi elle diffère de la création artistique. Laborit répond que pour lui, la science est consubstantielle de l’histoire humaine, depuis le premier humain qui s’est ouvert le genou en tombant sur une roche et qui s’est ensuite servi de cette roche pour chasser plus efficacement. Quant aux rudiments de l’art, l’art rupestre par exemple, Laborit pense que s’il venait de la crainte d’un pouvoir incontrôlable des forces de la nature, il était peut-être aussi indispensable en calmant l’angoisse et en permettant ainsi d’agir plus efficacement…

Et Laborit d’épiloguer ensuite sur l’importance de l’apprentissage dans ce qu’un individu va trouver par la suite beau, bien que l’on puisse apprendre toute notre vie à aimer de nouvelles choses.

  • IV- Imaginer
Cette dernière partie s’ouvre sur une anecdote succulente racontée par Geneviève Laborit, celle du livre envoyé par Laborit à un prisonnier et qui lui revenait constamment, malgré le fait que ce soit permis d’envoyer des livres en prison. La clé de l’énigme résidait dans le titre du livre : c’était l’Éloge de la fuite

Laborit montre que l’imagination peut permettre à la fois à un individu inhibé dans son action de s’en sortir, mais qu’elle peut aussi lui faire imaginer des états d’inhibition qui ne sont pas réels, mais seulement susceptible de se produire (sauf que pour son corps, ce sera les mêmes effets néfastes qui se manifesteront). Et Laborit de compléter l'explication avec le cas des psychotiques.

Intertitre : La fuite ou la lutte

Après que Laborit eut exprimé l’idée que pour lui la fuite demeure plus efficace que la lutte (« parce que les autres sont plus nombreux et vous auront toujours… »), Catherine Ferran, une biochimiste du labo de Laborit, lui demande : « Fuir comment ? Qu’est-ce que vous appelez la fuite ? »

Laborit précise alors que, outre la fuite motrice pure et simple, il y a surtout la fuite dans l’imaginaire, dans la création, la plus efficace selon lui. Il ajoute que pratiquement tout ce qu’on fait est inconscient, c’est-à-dire automatisé, engrammé dans notre mémoire, et heureusement sinon il faudrait penser consciemment à ce qu'on fait tout à tout moment. Mais une fois qu’un pianiste de concert a par exemple automatisé l’exécution d’une pièce, il peut consciemment y ajouter son expressivité propre.

Si tout le monde voyait ça davantage, surtout en ce qui concerne les automatismes langagiers, Laborit croit que l’on pourrait enfin sortir de l’éternelle recherche de dominance qui règne aujourd’hui partout dans ce qu’on appelle l’économie de marché. Et Laborit de rappeler que la créativité peut s’exercer en dehors de la finalité de l’économie de marché, qui demeure celle du renforcement des hiérarchies en son sein.

Avec l’exemple de certaines sociétés sénégalaises où, si un individu devient fou, c’est toute la société qui se remet en question, Laborit note à quel point on est loin de ce genre de remise en question pourtant nécessaire dans notre société.

Et le film de se terminer par un mot de l’ami d’enfance de Laborit, Edmond Peray, avec qui Laborit a peint toute sa vie, et par l’extrait d’un poème récité par Laborit sur les images de Lurs où les deux hommes ont fini leur vie et sont enterrés.

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