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En novembre dernier, le Commissaire à la santé et au bien-être du Québec annonçait la conduite d’une consultation publique sur la question du panier de services assurés par l’État en santé et en services sociaux. Cette consultation vise, selon les termes mêmes du CSBE, à : (…) éclairer les débats en faisant ressortir les valeurs et préoccupations des citoyens relativement au contenu du panier de services. et (…) soutenir les décideurs dans leur prise de décisions en leur permettant de prendre en compte ces valeurs et préoccupations citoyennes.

Une première étape de cette consultation a été conduite au mois d’aout 2015 avec un sondage téléphonique et en ligne qui a rejoint « 1 850 citoyennes et citoyens du Québec âgés de 18 ans et plus ». On ne sait pour l’instant rien de plus sur la représentativité démographique des citoyens en question ni sur leur degré de familiarité réel avec les services offerts. Cette dernière question est pourtant importante, car nos travaux antérieurs [1] montrent que les perceptions des utilisateurs de services sur le système de santé sont très différentes de celles des gens qui n’ont qu’une connaissance indirecte du fonctionnement du réseau. Le CSBE mentionne par ailleurs que « des groupes de discussion ont été formés afin d’approfondir certains résultats obtenus par le sondage » sans que l’on n’en sache plus sur les gens impliqués dans ces groupes.

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La deuxième étape de consultation est en cours et consiste à inviter (c’était l’objet de l’annonce du mois de novembre) « toute personne ou association, tout groupe ou organisme qui désire exprimer son point de vue relativement au panier de services assurés québécois, entre autres sur son contenu et les processus de décision y étant liés ». Les mémoires devant être déposés avant la fin du mois de janvier 2016.

De prime abord, l’idée d’un débat public sur une question aussi importante peut sembler intéressante. Mais tant le résultat des expériences passées dans ce domaine que les postulats mis de l’avant dans les documents produit par le CSBE nous rendent passablement critiques sur la désirabilité de l’exercice.

Le CSBE commence par délimiter le cadre de sa consultation avec les trois postulats suivants : les dépenses en santé sont en hausse; les besoins en santé sont illimités; les ressources de l’État sont limitées. La table ainsi dressée amène directement à un exercice de priorisation dans le panier des services assurés par l’État.

Dans ce contexte, poser la question c’est déjà y répondre (ce qui est un truc vieux comme le monde dans les consultations publiques). Il est prévisible que l’exercice débouchera sur une proposition de désassurer des services ou des soins. En ce sens cette consultation laisse bien peu de place à un réel débat et participe plutôt à un exercice de communication dans un exercice de démantèlement des services publics.

Décider des services sociaux et de santé dont une société doit se doter et qu’elle devrait couvrir pour toutes et tous relève d’un exercice complexe (assez vertigineux même) qui ne peut se résoudre ponctuellement par le petit bout d’une consultation pré-orientée. Il faut au contraire privilégier une approche systémique et considérer de façon imbriquée la pertinence des interventions et le coût d’opportunité qu’elles entrainent. Cette analyse doit intégrer des données scientifiques sur les soins en tant que tels, mais également des données sur les plans organisationnel et politique. Nous reviendrons sur l’approche consistant à « demander leur avis » ponctuellement et hors contexte aux citoyens, mais commençons par les termes qui encadrent la question. La consultation du CSBE opère en effet dans ses prémices deux réductions majeures :

• Elle envisage la performance du système dans une seule perspective d’efficience en postulant que « les coûts associés aux systèmes (s’étant) accrus, (…) les ressources (étant) limitées; des choix devront être faits quant aux soins et services couverts par l’État »;

• Elle n’identifie comme déterminant des dépenses qu’une diminution du volume de services assurés par l’État sans considérer d’autres paramètres tel que le coût unitaire des services ou encore les dépenses privées en santé.

Non seulement la lorgnette est-elle trop étroite, mais elle distord aussi les faits : les dépenses de santé, tant publiques que privées, ne se sont pas accrues ces dernières années au Québec, contrairement à ce qu’affirme le CSBE. Les coûts sont contrôlés et sont même en baisse (à l’exception, tiens tiens, du coût unitaire des services médicaux qui lui continue d’augmenter en flèche comme l’indiquent les graphiques joints).

C’est dans ce contexte simplifié et biaisé, détaché de son cadre systémique et expurgé des enjeux de santé populationnelle qui impliquent de réfléchir à l’accessibilité des soins et à leur pertinence – qu’on sollicite alors les citoyens sur leurs « priorités et valeurs ».

Regardons ne serait-ce que la première question du sondage. Elle place les participants dans la peau d’un ministre de la santé aux manettes du budget de santé devant prioriser des postes de dépenses [Laissons de côté le mode de gouvernance ici projeté avec la figure d’un responsable unique et surpuissant qu’on imagine mal s’en remettre aux valeurs et priorités des citoyens…].

Les participants doivent alors classer par ordre du plus au moins important cinq catégories de soins à financer :

o Services de prévention et de dépistage (par ex. lutte au tabagisme, cliniques de vaccination contre la grippe, dépistage du cancer du sein) o Diagnostic et traitement de maladie (par ex. pour le diabète ou l’arthrite), incluant la réadaptation physique o Prise en charge psychosociale (par ex. prise en charge de la maltraitance), incluant la réadaptation sociale (par ex, pour une déficience intellectuelle) o Soins de longue durée, incluant soins et services à domicile o Soins palliatifs et de fin de vie (par ex. médicament de confort, soutien psychologique aux proches)

Les besoins en santé et services sociaux sont donc découpés en cinq grands postes qu’il s’agit de mettre en concurrence en les priorisant les uns par rapport aux autres, comme s’il s’agissait de substituts. Est-ce qu’on mange du riz ou des pâtes ce soir ? Est-ce que je mets plus de diagnostics ou de prévention dans mon panier de service ? Drôle de façon d’envisager la santé en opposant des catégories de personnes et de besoins. Quelle étrange vision du système de santé!

La dernière question du sondage nous semble la plus explicite quant à la perspective adoptée par le CSBE : elle met en face à face unique la limitation des ressources de l’État et le fait que le panier services est en croissante constante et qu’il faut pouvoir agir sans que les budgets de l’état n’explosent (voir seconde image).

Il est un peu déprimant de lire une telle question. Méthodologiquement, la probabilité que les résultats aient le moindre sens est nulle, et ce indépendamment de la taille ou de la représentativité démographique de l’échantillon. En effet c’est à peu de chose près les mêmes choix que ceux qui avaient été soumis à des groupes de citoyens durant les travaux de la commission Clair et qui avaient donné lieu à des résultats parfaitement incohérents (pour ceux qui sont curieux, voici pourquoi)

Socialement, la situation est presque aussi triste. La perspective adoptée par le CSBE évacue toute approche en termes de santé des populations qui viserait à maximiser la santé et le bien-être d’un groupe de personnes. Seule la capacité de payer de l’État est prise en compte. Le transfert d’une part toujours plus grande des soins vers le secteur privé apparaitra donc comme une solution aussi logique qu’incontournable. Pas de réflexion sur les coûts totaux ni sur les moyens pour maximiser l’accessibilité à des services pertinents à toute la population, selon ses besoins de santé.

La Chaire Pocosa et la Chaire Easy publieront sous peu un mémoire détaillé pour présenter une critique argumentée du postulat de l’appel à mémoires lancé par le CSBE dans le cadre de cette consultation et présenter les avenues possibles à envisager pour améliorer la performance du système de santé québécois.

[1] Contandriopoulos, D., & H. Bilodeau, H. (2009).The political use of poll results about public support for a privatized healthcare system in Canada. Health Policy 90 (1): 104-112

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