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Si étudier l’Histoire peut, comme on le dit souvent, nous aider en tant que collectivité à ne pas répéter les erreurs du passé, étudier l’histoire des sciences peut de son côté nous aider à saisir à quel point la science est une entreprise collective qui avance en tenant compte elle aussi des erreurs mais également des bonnes intuitions des autres.

C’est un peu ce que je vais essayer de montrer mercredi soir prochain le 24 février lors d’une séance de l’UPop Montéral intitulée « Les intuitions de Laborit sur le cerveau » (tous les détails dans le premier lien ci-dessous). En partant de plusieurs contributions scientifiques importantes d’Henri Laborit, des antioxydants à l’inhibition de l’action , en passant par le Gamma-OH ou les cellules gliales , j’essaierai de montrer comment ces travaux de Laborit trouvent aujourd’hui un écho dans la recherche contemporaine en neurosciences.

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Préparant ce cours depuis plusieurs jours, c’est avec cette démarche en tête que je suis tombé sur l’étude dont je vais vous parler aujourd’hui. Et le traitement que j’en ferai ne sera pas étranger à ces préoccupations sur l’histoire des sciences.

Intitulée Neuromodulation of Group Prejudice and Religious Belief, l’étude publiée en septembre dernier dans Social Cognitive and Affective Neuroscience est le fruit de la collaboration de scientifiques de l’université York et de l’université de Californie à Los Angeles (dont Marco Iacoboni, pionnier des études sur les neurones miroirs ). Il suffirait donc, comme le titrait de manière un peu sensationnaliste un site web rapportant ces travaux (voir le deuxième lien ci-dessous), de diriger de l’énergie magnétique dans le cerveau pour réduire la croyance en Dieu ou les préjugés envers les immigrants. « Super ! », s’écriront les humanistes athées technophiles… Mais qu’en est-il exactement ?

Il s’agit, au fond, d’une démarche des plus classiques dans la recherche sur le cerveau : inactiver (ou stimuler) une région du cerveau est regarder ce qui se passe au niveau du comportement pour ensuite essayer de déduire la contribution de la région stimulée ou inactivée.

Une expérience classique de ce type serait celle de Olds et Milner dans les années 1950 , alors qu’ils réussirent à implanter une électrode dans ce qu’on appelait à l’époque le « faisceau de la récompense » du rat. Ayant relié cette électrode par un fil à un levier dont la pression provoquait une stimulation de cette voie nerveuse, on observait rapidement le rat se mettre à appuyer frénétiquement sur le levier, preuve que l’activation de ce faisceau lui procurait beaucoup de plaisir. Et puis, d’autres circuits cérébraux ont été identifiés dans le cerveau, connus sous leurs acronymes de MFB, PVS ou SIA (Système Inhibiteur de l’Action, sur lequel Laborit a beaucoup travaillé) . Jusqu’à l’étude des réseaux cérébraux de notre connectome aujourd’hui…

Mais pour revenir à notre étude, la technique pour modifier l’activité cérébrale d’une région précise du cerveau est bien différente. Il s’agit de la stimulation magnétique transcrânienne (SMT) , une technique non invasive très pratique chez l’humain puisque les brefs champs magnétiques produits perturbent l’activité électrique des neurones dans une région limitée du cerveau qui dépend de l’emplacement de l’appareil sur le crâne. Dans ce cas-ci, la région désactivée temporairement par la SMT était le cortex frontal médian postérieur (une région qui comprend entre autres la partie dorsale du cortex cingulaire antérieur ). Des travaux précédents avaient montré que cette région corticale jouait un rôle clé à la fois dans la détection des écarts entre une situation désirée et une situation réelle, et dans l’ajustement comportemental subséquent pour résoudre le conflit.

Le protocole expérimental, qui incluait bien entendu une procédure de SMT fictive (ou placebo ) pour la moitié des participant.es, peut se résumer en disant qu’on les amenait à prendre conscience de choses pas très agréables comme leur propre mort éventuelle ou une critique de leur sentiment nationaliste par des immigrants, et qu’on mesurait ensuite leur degré d’adhésion à leur croyance religieuse et leur sentiment d’appartenance à leur patrie. Encore une fois, des études préalables en psychologie ont démontré que dans une telle situation, la plupart des gens réduisent ce conflit intérieur en s’en remettant à ces « recettes éprouvées » que peuvent être la croyance religieuse ou le sentiment nationaliste rassurant.

Or, quand on désactivait le cortex frontal médian postérieur avec la SMT, c’est le contraire que l’on observait : une baisse de 32.8% de la croyance en Dieu, au paradis et autres anges célestes; et une hausse de 28,5% d’un sentiment positif à l’égard des immigrant.es qui critiquaient leur pays !

Au-delà des grands titres qui nous annoncent que l’on peut « manipuler des croyances religieuses avec de l’énergie magnétique envoyée dans le cerveau » (ce qui n’est quand même pas faux), ce qui est intéressant dans cette histoire c’est qu’elle appuie l’idée d’un recyclage neuronal massif dans le cerveau humain. On signale en effet dans l’étude que l’implication première du cortex frontal médian postérieur dans la résolution de conflit concernait en premier lieu, dans une perspective évolutive, des conflits bien concrets, du genre « comment bouger mon corps pour éviter un obstacle qui me barre la route ? ». Les branches et les ruisseaux peuvent encore être des obstacles qui activent notre cortex frontal médian postérieur. Mais ce sont bien plus souvent des conflits intérieurs, d’ordre idéologique , qui assaillent l’être humain qui vit dans les sociétés complexes d’aujourd’hui. Et il est toujours fascinant de constater que pour le cerveau, l’abstrait est souvent pris en charge par la région traitant un problème concret semblable.

Je n’ai plus le temps ni l’espace pour entrer dans les modèles théoriques plus généraux qui sont discutés dans l’article. Mais terminons simplement en rappelant que des modèles comme le « Reactive Approach Motivation » (RAM) qui soutient que les conflits anxiogènes sont éventuellement résolus en motivant l’animal à avoir des comportements d’approches (« approach-motivated states », en anglais) n’est pas si loin d’un autre modèle plus ancien, celui de l’inhibition de l’action, proposé par Henri Laborit dans les années 1970 . Car au fond, le but de l’affaire, ce n’est pas tant de contrôler des cerveaux avec des champs magnétiques que de faire des modèles pour essayer de se comprendre un peu mieux. Et cela vient, comme pour les rats de Olds et Milner, généralement avec beaucoup de plaisir !

i_lien Les intuitions de Laborit sur le cerveau i_lien Directing Magnetic Energy Into The Brain Can Reduce Belief In God, Prejudice Toward Immigrants i_lien Stimulation magnétique transcrânienne a_expNeuromodulation of Group Prejudice and Religious Belief

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