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Les excréments sont peut-être l’une des choses les moins ragoûtantes au monde. Et pourtant, nos selles possèdent des vertus insoupçonnées. Elles sont utilisées pour combattre l’infection à Clostridium difficile – le fameux C. difficile – qui s’attaque agressivement au système digestif et provoque parfois une inflammation du côlon. Pour remédier à la situation, les médecins peuvent maintenant prescrire en dernier recours à leurs patients un saugrenu traitement, la greffe fécale.

Les greffes fécales, qu’on nomme aussi « transplantation fécale » ou « bactériothérapie fécale », ont pour but de diminuer l’abondance de C. difficile au sein du microbiote intestinal. Cette bactérie, qui prolifère souvent dans les hôpitaux et cause des diarrhées et des troubles intestinaux, est responsable de centaines de décès au Québec chaque année. Elle se retrouve dans le système digestif d’environ 5 % de la population, mais ne cause pas de symptômes chez les personnes en santé. Cependant, la bactérie opportuniste peut proliférer lorsqu’un patient est traité avec de forts antibiotiques pour une tout autre infection. En effet, ces antibiotiques provoquent un déséquilibre de la flore intestinale en éliminant les bonnes bactéries qui y sont présentes. Le tube digestif affaibli devient alors un parfait terrain de jeu pour C. difficile. Le traitement de cette infection est compliqué puisque la bactérie résiste aux plus puissants antibiotiques.

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Lorsque le combat contre C. difficile demeure vain, les patients ont la possibilité de se tourner vers la greffe fécale. Ce traitement, qui reste pour le moment expérimental, consiste à introduire des selles, qui proviennent d’un donneur sain, dans l’intestin de la personne malade. Les fèces utilisées sont souvent celles d’un membre de la même famille et sont passées scrupuleusement à la loupe afin de vérifier qu’elles ne contiennent aucun virus, parasite ou bactérie pathogène. Ensuite, elles sont généralement mélangées avec une solution saline puis filtrées. Enfin, la prescription homogénéisée est administrée par un tube qui passe par le nez ou la bouche et rejoint le petit intestin, ou par une coloscopie qui permet d’atteindre le côlon. Le tube digestif est ainsi recolonisé par les bactéries saines présentes dans les excréments du donneur. L’équilibre du microbiote intestinal est retrouvé et l’abondance de C. difficile est diminuée de façon à ce que la bactérie ne cause plus de symptômes.

Une efficacité démontrée

L’origine de la transplantation fécale remonte au IVe siècle en Chine. Les selles étaient alors ingérées oralement pour traiter la diarrhée sévère ou les intoxications alimentaires. La greffe fécale a fait son apparition dans la médecine moderne en 1958. Le docteur Ben Eiseman, de l’Université du Colorado, avait publié à l’époque un article sur le sujet dans la revue Surgery. Depuis, plusieurs études ont été menées, mais le traitement demeure marginal et ne fait pas l’objet d’un consensus au sein de la communauté scientifique. Son efficacité a tout de même été démontrée lors d’un essai clinique aux Pays-Bas, dont les résultats ont été publiés en 2013 dans le New England Journal of Medecine. Le taux de guérison au Clostridium difficile grâce à la transplantation fécale était alors de trois à quatre fois supérieur à la prise de vancomycine, l’antibiotique testé en comparaison. Le taux de succès de la greffe fécale pour enrayer la bactérie est d’environ 90 %.

Différentes études sont actuellement menées à travers le monde afin de mieux comprendre le fonctionnement des transplantations fécales. Des indications préliminaires suggèrent même que ce traitement pourrait être utile dans la lutte contre diverses conditions intestinales ou non, comme les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, l’obésité et le syndrome métabolique. Les scientifiques tentent également de développer un mélange simple et précis de quelques bactéries cultivées en laboratoire et qui pourrait être administré sous forme de capsule afin de remplacer le traitement actuel. Il s’agit toutefois d’un défi, car les espèces qui peuplent le microbiote intestinal demeurent peu ou mal caractérisées et il est pour le moment difficile d’en faire la culture ex vivo, c’est-à-dire en milieu artificiel.

Un traitement à peaufiner

Il est également nécessaire de déterminer plus précisément quelles bactéries sont responsables de l’effet thérapeutique. Une telle approche serait préférable à celle présentement utilisée, puisque le contrôle serait plus important. Bien que l’efficacité des greffes fécales ait été démontrée, celles-ci ne constituent pas un traitement parfaitement crédible, puisqu’il manque de contrôle sur la qualité de ce qui est administré aux patients, qu’il y a des variations biologiques d’une administration à l’autre, et que les effets secondaires à long terme ne sont pas connus.

Des greffes fécales ont d’ailleurs déjà été réalisées au Québec, entre autres au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Sherbrooke, à l’Hôpital général juif de Montréal et au CHU de Québec. Pour le moment, Santé Canada considère la bactériothérapie fécale comme un « nouveau médicament biologique de recherche ». Il reste que la multiplication, ces dernières années, des études sur le sujet, ainsi que les résultats cliniques encourageants, font de la transplantation fécale un traitement assez prometteur. Qui l’eût cru ?

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