corbeau

Je voudrais commencer ce billet sur l’intelligence des corvidés (corneilles, corbeaux, geais, etc.) par un petit souvenir. C’était il y a un an ou deux, alors que je prenais ma marche matinale au parc Lafontaine à Montréal. Mon attention avait été attirée par les coups répétés du bec d’un grand pic qui fouillait de ses coups adroits l’écorce d’une grosse branche à la recherche des insectes qui s’y cachaient. La présence du plus grand pic du Québec étant inhabituelle dans le parc, j’en profitai pour admirer un peu ce bel oiseau et surtout la puissance de ses coups de bec. Alors que le pic passait à l’arbre voisin, je vis arriver une corneille qui se percha très exactement où le pic était cinq secondes plus tôt. Et immédiatement, la corneille se mit à picorer elle aussi l’écorce, avec évidemment bien moins de force et d’adresse. Elle avait donc vu comme moi le grand pic travailler et en avait conclu qu’il y avait là probablement encore de la nourriture.

Cela me rappela aussitôt toutes les études sur l’intelligence des oiseaux de cette famille, les corvidés. Or ma corneille allait bientôt se montrer à la hauteur de cette réputation. Car lorsque le grand pic changea d’arbre une fois de plus, elle recommença son manège et s’en alla une fois de plus se percher où il était pour voir s’il n’avait pas oublié quelques larves ! Et le manège recommença ainsi 3 ou 4 fois, d’un arbre voisin à un autre, jusqu’à ce que le pic s’envole beaucoup plus loin et que la corneille arrête alors de le suivre. Mais clairement cette corneille s’était servie du pic pendant une bon 5 ou 10 minute pour repérer des insectes dans les arbres!

Je n’ai donc pas été surpris par cette énième étude sur l’intelligence des corbeaux qui vient d’être publiée dans la revue Science vendredi dernier sous le titre « Ravens parallel great apes in flexible planning for tool-use and bartering ». Mais de l’avis de plusieurs spécialistes de la question, cette étude dévoilerait une capacité inattendue des corbeaux, celle de planifier un comportement futur suite à un apprentissage dans des conditions expérimentales. Celles-ci faisaient en sorte qu'il pouvait difficilement s’agir d’un comportement découlant d’une adaptation plus ou moins innée à son milieu naturel. Car la boîte fabriquée par des humains de laquelle l’animal a appris à sortir un morceau de nourriture avec une roche n’a pas fait partie de sa niche écologique durant son évolution… Le corbeau était néanmoins capable, une fois cet apprentissage acquis, de choisir la roche parmi plusieurs objets qu’on lui proposait, et puis ensuite d’attendre avec la roche jusqu’à une quinzaine de minutes qu’on lui présente à nouveau la boîte. Et il utilisait alors la roche pour en faire sortir la nourriture.

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Ce type de comportement qu’on associe à de la planification n’avait alors été observé que chez des primates adultes et à partir d’environ 4 ans chez l’humain. Si les études subséquentes parviennent à démontrer qu’il s’agit bien de planification (et non simplement d’un apprentissage associatif comme certains critiques l’ont évoqué), cela pourrait dire que cette forme de flexibilité comportementale aurait pu évoluer indépendamment à différents moments au cours de l’évolution, et pas uniquement chez les primates comme on le croyait jusqu’ici.

Et ce qui est particulièrement intéressant si c’est bien le cas, c’est de constater que tant pour les primates que pour les corvidés, il s’agit d’espèces ayant une vie sociale riche et complexe où la capacité de déchiffrer les comportements futurs des autres individus (et donc leurs « états mentaux ») s’avère d’une grande importance. Les corbeaux forment par exemple des groupes de nombreux individus pendant plusieurs années avant de se mettre en couple et de s’établir sur un territoire pour se reproduire. Étant charognards, ils ont dû aussi subir de grandes pressions évolutives pour gérer leurs rares trouvailles d’animaux morts, comme la cacher plus ou moins rapidement selon qu’ils se croient ou non observés par un congénère, comme l’a montré une étude publiée l’année dernière.

Autrement dit, on avait plusieurs théories mettant de l’avant les interactions sociales pour expliquer le développement rapide de l’intelligence humaine durant l’hominisation. On a désormais des indices qui portent à penser que les mêmes pressions évolutives émanant de la vie en groupes organisés ont pu favoriser les capacités cognitives étonnantes des corvidés. Tout cela réduit encore un peu plus la soi-disant spécificité de l’intelligence humaine. Toute proportion gardée, évidemment (le cerveau du corbeau comptant environ 2 milliards de neurones et le nôtre 86 milliards).

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