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Huit heures du matin au Centre de recherches sur la cognition animale de l’université Paul Sabatier de Toulouse, en France. Nous recevons un message : « On n’est pas au bureau, on est tous dans la salle 2. Il y a une fuite ! »

Certains travaillent avec des chiffres, d'autres avec des clients, certains ont des pinceaux, des cravates ou des pelles. Ici, on travaille avec des insectes, plus précisément avec des fourmis fourrageuses Atta de la forêt brésilienne.

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Nous nous rendons dans la salle 2, sans trop savoir à quoi nous attendre. Le laboratoire inondé ? Des fourmis noyées ? Des colonies flottant dans une grande flaque d’eau ?

Non, ce n’est pas une fuite d’eau qui alarme toute l'équipe, mais une fuite de fourmis ! Elles envahissent le laboratoire, le sol, les paillasses, tout.

Les petits insectes sortent par centaines de l’une des trois colonies qui sont dans la salle. Les attraper à la pince souple pour les remettre dans leur bac ? Impossible : cela prendrait trop de temps, elles sont nombreuses et la fuite persiste. Nous nous précipitons sur le balai pour les ramasser, mais elles s'accrochent à la brosse et montent rapidement vers le manche. Que faire ?

C'est à ce moment que Jérôme, le technicien du laboratoire, fait irruption dans la salle. Il a l’habitude de ce genre de situations et apporte un aspirateur. C’est la seule solution rapide pour éviter que les fourmis réussissent à quitter la salle et envahissent le bâtiment de recherche. Il les aspire toutes.

Où mettre les fourmis ? On ne peut pas les libérer, ni les remettre dans leur colonie puisqu’on ne sait pas de laquelle elles proviennent. Si jamais on se trompe de bac, c’est la catastrophe ; cela mettrait le chaos dans la colonie et condamnerait toutes les fourmis à une mort certaine. Les fourmis d’une colonie sont capables de se reconnaître entre elles à une grande distance grâce aux phéromones volatiles qu’elles libèrent. Si une fourmi en rencontre une autre qui n'appartient pas à sa colonie, elle se lance alors dans un combat à mort avec l'envahisseur. On ne les appelle pas fourmis soldats pour rien, elles doivent protéger leur colonie avant tout. Bref, si l'on se trompe de bac, c’est la guerre.

Une seule solution : congeler les fourmis pour qu'elles n'aillent pas envahir d'autres niches, et encore moins le bureau du directeur ! Il faut faire vite.

Et ce n’est pas fini, une fois la fuite repérée, il faut bien sûr la boucher. Après une recherche minutieuse, nous trouvons un tout petit trou. C’est la grille métallique d'aération du nid qu'elles ont réussi à briser avec leurs mandibules, qui leur servent pour couper des feuilles et transporter vers leur nid jusqu’à cinquante fois leur poids !

Nous plaçons la colonie rebelle dans la paillasse d’observation, un bac d'un mètre carré dont les parois ont été recouvertes de fluon, un liquide qui forme une couche mince et très lisse pour empêcher les fourmis de grimper. Maintenant, il faut mettre la main à la pâte, ou plutôt à l'intérieur de la colonie pour boucher le trou. Pour cela, il faut ouvrir le bac qui contient le nid de la colonie. Un champignon énorme sert de nid et de nourriture aux fourmis champignonnistes. Les feuilles et matières végétales qu’elles recueillent servent à alimenter le champignon.

Nous ouvrons le bac et là, c’est la fuite massive ! Il faut faire vite, les fourmis sont furieuses et montent rapidement sur nos bras qui tiennent le bac.

« Vite, passe-moi des gants en latex ! » Mais cela n'empêche pas les fourmis soldats de nous mordre et leurs mandibules exercent une force assez forte pour percer le gant et la peau. Il faut arracher la fourmi violemment pour se libérer, car une fourmi ne lâche jamais sa proie. Le sang coule. Ce sont les risques du métier.

Une fois la grille changée et l'équipe à bout de souffle, nous fermons la boîte et remettons toutes les fourmis qui se promènent sur la paillasse d’observation dans la colonie. D’abord avec le balai, puis une par une avec les pinces souples. Il ne faut pas en laisser une seule dehors. C'est comme essayer de récupérer des petits grains de riz avec des baguettes, sauf que ces grains de riz n’arrêtent pas de fuir. Je vous laisse imaginer le travail ! Le soir, je ferme les yeux et ne vois que des fourmis !

Il est maintenant 8 heures du soir et ce fut un jour comme un autre au laboratoire de comportement social des insectes. Un jour de retard pour les manipulations. Nous éteignons les lumières de la salle en espérant la retrouver comme nous l’avons laissée la veille, mais qui sait ?

Je donne