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Il y a deux façons de sortir du cinéma après avoir vu CitizenFour —ce documentaire sur l’affaire Edward Snowden, par l’oeil des deux journalistes qui l’ont sorti de l’ombre. L’une: en parler comme d’un travail remarquablement bien fait sur un des scoops journalistiques les plus importants de la dernière décennie. L’autre: vivre un grand moment de découragement face à une surveillance électronique si gigantesque qu’elle semble au-delà de tout ce qu’on peut appréhender.

 

Personnellement, n’étant ni un nerd de l’informatique comme Edward Snowden ni un journaliste spécialisé en droits civils comme Glenn Greenwald ni une cinéaste engagée comme Laura Poitras, la réalisatrice de Citizen Four, je n’ai guère d’outils pour lutter contre ce Godzilla de l’omni-surveillance, né de notre ambition de construire un réseau informatique toujours plus efficace.

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Mais je sais que si certaines personnes ont un pouvoir entre leurs mains, ce sont les auteurs, journalistes et surtout blogueurs de science, ceux qui ont des connaissances techniques —y a-t-il une clef PGP dans la salle?— une sécurité d’emploi —y a-t-il un prof d’université dans la salle?— un talent de vulgarisateur, ou les trois. On n'a pas tous le talent d'une Laura Poitras, mais on peut s’en inspirer. Comme David Desjardins, dans sa chronique du Devoir samedi dernier:

 

Peut-être est-ce que chaque fois qu’on entame un peu l’intégrité de cette liberté, en nous disant que c’est pour notre bien, nous ne voyons simplement pas la différence ? Les jours qui suivent l’adoption de lois plus ou moins liberticides ne sont pas différents des précédents. Alors on s’habitue à ces brèches. On en vient même à opposer à ceux qui s’en indignent que si on n’a rien à se reprocher, alors pourquoi ne pas laisser le gouvernement fouiller comme bon lui semble ? (...) En sortant de la projection de l’incontournable Citizenfour (...), on a un peu envie de mettre des baffes à tous les clowns qui prétendent que la vie privée est soluble dans la sécurité.

 

Il n’est pas si loin de Greenwald, qui écrivait dans son livre Nulle part où se cacher , paru ce printemps:

La surveillance de masse que pratique l’État est répressive par nature... Qu’il soit fait de cette surveillance un usage abusif ou non, les limites qu’elle impose à la liberté sont inhérentes à son existence même.

 

Les révélations qui ont déferlé depuis juin 2013 grâce à Edward Snowden, un employé parmi des centaines de milliers qui a décidé que les choses allaient trop loin, ont eu malgré tout des retombées positives: on apprenait en novembre que 30% des internautes ont posé des gestes pour protéger leur intimité en ligne, selon une enquête du Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale, qui a sondé 23 000 personnes dans 24 pays.

C’est sûr, vulgariser la surveillance électronique, ce n’est pas aussi intéressant qu’un vortex polaire qui glace nos rues ou une famine lointaine qui nous serre le coeur. Nous n’avons pas dans notre tête d’images émotionnellement fortes de la surveillance électronique —au contraire d’enfants souffrant de la famine. David Desjardins, encore:

Nous ne parvenons pas à imaginer ce qui adviendrait si le gouvernement utilisait ces informations qu’il peut recueillir en parfait accord avec ces compagnies pour les retourner contre nous.

 

Parce que cela semble impensable. Et aussi, on y revient toujours : nous croyons qu’il n’existe aucun danger si nous n’avons rien à nous reprocher.

 

Mais justement, c’est à ça que sert la vulgarisation: il faut davantage de chroniqueurs comme lui ou comme Mathieu Dugal qui en parlent et qui trouvent des angles différents pour toucher différents lecteurs —ou téléspectateurs.

Par exemple. Quelle boutade utilise Greenwald chaque fois qu’un lecteur lui dit «moi, je n’ai aucun problème avec la surveillance de la NSA, puisque je n’ai rien à me reprocher»?

«Très bien», qu’il dit, en sortant son crayon et son carnet de notes. «Donnez-moi vos mots de passe Gmail, Facebook, et vos codes d’accès à Internet, et je vais aller vérifier.»

Évidemment, personne n’a encore répondu à sa requête. Parce que dès le moment où il dit ça, une image forte de ce que la surveillance veut dire se forme dans notre tête. La vulgarisation, c’est ça.

 

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