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J’exerce le métier d’astronome et d’astrophysicien depuis plus de 30 ans (oui, je commence à être vieux !). Outre mes activités de recherche, j’ai consacré une partie importante de mon temps à la diffusion de ma science auprès du public – ce que l’on appelle, au sens noble du terme, la vulgarisation scientifique. Même à l’aube de ma carrière, j’ai toujours considéré qu’il s’agissait d’un aspect important mais souvent négligé de la tâche d’un scientifique.

 

Les journaux traditionnels, la radio, la télévision et, plus récemment, le web et les médias sociaux relaient une abondance de nouvelles. Sans surprise, la part du lion revient à la politique, aux affaires, aux sports, à la culture et aux faits divers, pas nécessairement dans cet ordre. À l’occasion, la recherche et les découvertes scientifiques se glissent dans le flot incessant des nouvelles. La vitrine médiatique consacrée à la science est donc très étroite et, malheureusement, tous les domaines de la science ne bénéficient pas d’un traitement égal dans ce mince créneau.

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C’est à l’occasion d’une de mes premières incursions dans le monde des médias que Réal D’Amours, journaliste scientifique à Radio-Canada de 1971 à 2003, m’a expliqué une règle non-écrite de la couverture médiatique des sciences. Grosso modo:

 

  • la moitié des nouvelles à caractère scientifique traitées par les divers médias, touche à la recherche dans les domaines de la santé et de la médecine ;
  • un quart concerne l’astronomie et/ou l’exploration spatiale ;
  • tandis que toutes les autres disciplines se partagent le dernier quart !

 

Même si plus de 25 années se sont écoulées depuis cette « révélation » de Réal D’Amours, je ne crois pas que les choses ont beaucoup changé. Encore aujourd’hui, je demeure étonné de l’espace disproportionné qu’occupe ma science dans les médias. Après tout, l’astronomie (ou l’astrophysique) est une science fondamentale qui, contrairement à la recherche médicale, ne change strictement rien dans le quotidien des gens. De plus le nombre de chercheurs dans le domaine est petit comparativement à l’ensemble de la communauté scientifique; à l’échelle du Canada, on compte quelques centaines d’astronomes/astrophysiciens par rapport à quelques dizaines de milliers de chercheurs dans toutes les disciplines.

Ma première explication a toujours été que l’astronomie dispose d’une « arme de diffusion massive » sous la forme d’images dont la beauté est souvent à couper le souffle. Je suis convaincu que les photographies de planètes, de nébuleuses ou de galaxies, captées par les sondes spatiales et les télescopes, contribuent à rendre l’astronomie « médiatiquement sexy ».

Une autre partie de l’explication tient dans le fait que le cosmos est un monde d’extrêmes fascinants. Qu’il s’agisse des distances, des vitesses, des masses, des températures ou même des échelles de temps, tout est hors norme. Au cours de ma carrière, j’ai enseigné l’astronomie à des milliers d’étudiants universitaires et j’ai donné des centaines de conférences publiques. Or, parmi les commentaires le plus souvent entendus, celui sur la démesure de la nature et notre sentiment d’humilité, revient régulièrement. L’astronomie suscite une réflexion philosophique sur notre place dans l’univers.

L’astronomie a aussi une longue et riche histoire qui remonte à la nuit des temps. Cette tradition se manifeste aujourd’hui par des centaines de milliers d’astronomes amateurs, partout dans le monde, qui partagent leur passion avec le grand public. Elle se traduit aussi, surtout depuis l’avènement d’Internet et des médias sociaux, par des initiatives dites de « science citoyenne ». L’astronomie est en effet, l’une des peu nombreuses disciplines qui encourage la participation active de non-professionnels à l’effort de recherche. À titre d’exemple, la contribution du public occupe une place grandissante dans l’analyse des données recueillies par les grands observatoires dans des initiatives telles que « SETI at Home » et « Galaxy Zoo ».

La communication, l’ingrédient essentiel

Outre ces « qualités » propres à l’astronomie elle-même et qui favorisent son succès médiatique, il faut aussi et surtout que la manière de communiquer l’information soit adaptée à son public cible. La communication est l’ingrédient essentiel, souvent négligé, qui permet de développer et de maintenir l’intérêt du public envers la recherche scientifique. Le rôle du journaliste, à plus forte raison celui du journaliste scientifique, est crucial dans cette interaction car, il faut bien l’avouer, les bons chercheurs ne sont pas nécessairement de bons communicateurs!

À la base, un journaliste rapporte des nouvelles et raconte des histoires. Il les met en perspective, leur donne de la profondeur. De ce point de vue, les nouvelles scientifiques ne sont pas différentes des autres. Cependant, rapporter et raconter une nouvelle scientifique exige des compétences particulières et les obstacles sur la route d’une bonne histoire sont nombreux.

Le premier auquel je pense est celui de la langue et, ici, je ne fais pas référence au fait que les mathématiques soient souvent le langage au cœur de la recherche scientifique. Non, il s’agit plutôt de la manière qu’ont les chercheurs d’une discipline donnée de s’exprimer entre eux. Leur discours est truffé de mots et d’expressions auxquels ils attribuent un sens souvent très différent du sens commun. Combien de mes collègues font partie du « club des mal cités » alors qu’en fait ils font partie du « club des mal compris » ! Le journaliste scientifique doit être en mesure de décoder le discours des chercheurs afin de rapporter correctement une découverte. C’est un art difficile à maîtriser et qui exige une grande polyvalence car presque chaque discipline scientifique possède un idiome qui lui est propre.

L’autre difficulté à laquelle font face les journalistes lorsqu’ils s’adressent à des scientifiques est de replacer la nouvelle dans un contexte plus large. Règle générale, les chercheurs s’intéressent surtout à des aspects très pointus d’un problème. La façon qu’ils ont de discuter de leurs découvertes est souvent tout aussi pointue. Un bon journaliste scientifique doit contextualiser le discours des chercheurs dans une perspective à la fois scientifique et historique. En fait, le travail du journaliste est d’amener les chercheurs à voir la forêt tout autant que l’arbre ! Encore ici, la polyvalence est un atout mais elle doit aussi se doubler d’une culture générale étoffée.

Au fil de ma carrière, j’ai collaboré à de nombreuses reprises avec des journalistes. La palette de mon expérience couvre un éventail assez large. Elle va de la déception d’avoir perdu du temps à expliquer inutilement des concepts simples ou d’avoir répondu à des questions stériles ne menant nulle part, jusqu’à la satisfaction d’avoir eu un échange fructueux qui ajoute une plus-value tant pour moi et le journaliste, que pour le public. Avec le temps, j’ai bien sûr appris à moduler mon discours afin de l’adapter à différentes audiences. Mais, sans surprise, le succès ou l’échec de mes interactions avec les médias tient surtout aux qualités de l’interviewer. Rien ne vaut l’interaction avec un journaliste préparé, capable de saisir les nuances d’un discours scientifique. J’ai la chance de pratiquer une science qui jouit d’une couverture médiatique remarquable. Cette popularité tient en partie à la nature de l’astronomie elle-même et à l’intérêt qu’elle suscite dans la population. Mais elle repose surtout sur l’expertise et le travail de journalistes compétents qui comprennent les rouages de la science.

Il y a 30 ou 40 ans, dans la foulée des missions Apollo sur la Lune, les journalistes affectés aux nouvelles scientifiques se sont naturellement intéressés à l’astronomie et à l’astrophysique, possiblement au détriment des autres sciences. La situation qui prévaut aujourd’hui est bien différente. À l’échelle mondiale il y a plus de chercheurs que jamais. Le rythme des découvertes scientifiques, tous domaines confondus, augmente rapidement. Le potentiel d’impact des découvertes est aussi beaucoup plus important: énergie nucléaire, changements climatiques, économie verte, etc.

Mais curieusement, malgré l’impact grandissant de la recherche scientifique, la fenêtre médiatique qui lui est accordée demeure toujours aussi étroite. Cet état de choses me désole profondément car, il faut le souligner, c’est le public qui finance le gros de la recherche scientifique par le biais des taxes et des impôts. Les chercheurs sont redevables aux citoyens et ces derniers méritent d’avoir accès aux résultats de la recherche grâce à une information scientifique de qualité. Je suis convaincu qu’en ce début de troisième millénaire le rôle des journalistes, à plus forte raison, celui des journalistes scientifiques, est plus que jamais déterminant pour informer correctement le public.

 

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