MANAUS, Brésil – Dans cette ville, capitale de l’État Amazonia, 80% de l’eau des ruisseaux serait gravement compromise par la pollution, au point de pouvoir porter préjudice à la santé humaine. Il s’agit de l’une des conclusions portées par la chercheuse Hilândia Brandao da Cunha, dans une étude parue il y a moins de deux ans.

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Le constat général est affligeant : tous les petits cours d’eau qui sillonnent la ville sont malades, lisait-on dans « Élaboration des indices de la qualité de l’eau pour la municipalité de Manaus ». C’est ce que m’ont confirmé deux chimistes de l’INPA (Institut national de recherche en Amazonie), le directeur du département de l’environnement de la municipalité, plusieurs résidents du quartier Petrópolis ainsi qu’un journaliste en environnement de Em Tempo, l’un des quotidiens les plus importants de l’État Amazonia. Il ne faut pas être un savant scientifique pour conclure à la piètre qualité de ces eaux : opaques, grises et nauséabondes, partout en ville.

Un résident de Manaus me confiait qu’il y a 20 ans à peine, ce ruisseau à quelques rues de chez lui, dans le quartier Petrópolis de Manaus, près de l’université fédérale, était clair comme de l’eau de roche; les gens s’y baignaient et y faisaient leur lavage allègrement. Aujourd’hui, le seul fait de marcher à plusieurs mètres de distance est insupportable tant l’odeur fait lever le cœur. Parfois, l’eau en vient à ne plus circuler du tout, car on y a lancé toutes les immondices possibles. Ça devient alors un dépotoir à ciel ouvert. « La nature saura faire le reste », semble être la croyance populaire.

Vivre à proximité des ruisseaux puants

Les eaux répugnantes des ruisseaux de la ville incommodent les habitants vivant à proximité. Pourtant, certaines maisons sur pilotis sont bâties juste au-dessus de ces ruisseaux pollués. « Il existe bien des législations comme le Código Florestal (le code forestier) pour interdire les habitations près des igarapés (mot signifiant : ruisseaux en portugais), mais ces lois ne sont pas respectées. En réalité, toutes les berges sont occupées, faute d’espace », précise Sebastião Atila, chimiste à l’Institut national de recherche de l’Amazonie (INPA).

Comment la ville compte-t-elle gérer le problème des eaux usées? « Depuis l’année dernière, nous avons une loi qui oblige les entreprises à se munir d’un système de traitement des eaux usées. Les nouvelles entreprises doivent obligatoirement s’y conformer; celles déjà existantes ont droit à un délai de grâce. Cette période terminée, des amendes seront imposées par la municipalité », de poursuivre M. Dutra sur un ton grave. Néanmoins, on m’a affirmé qu’à l’heure actuelle, seule une poignée d’entreprises de la zone industrielle sont dotées d’un système de traitement des eaux usées. Résultat? On envoie le tout dans les igarapés. La nature saura faire le reste.

Une lente prise de conscience

« On a bétonné les rives des ruisseaux, pour qu’ils soient plus beaux, pour que ça fasse plus propre, mais ça n’a fait qu’aggraver la situation. Sans végétaux sur les berges, le sol et les racines des plantes ne peuvent plus servir de filtre » estime le chercheur Atila. « Puis, le cours d’eau finit par manquer d’oxygène et de nutriments; ceci entraîne alors un autre problème : la prolifération des algues. »

Selon Renan Rodrigues, un journaliste spécialisé en environnement pour le journal Em Tempo, bien que les médias aient déjà abordé la problématique du rejet des eaux usées non traitées, rien n’a vraiment changé. Il est d’avis que l’on en parle encore trop peu; la population ne comprend pas bien tous les impacts que ceci implique. Et les politiciens ont surtout dans leur mire le développement économique.

« Les gens sont habitués de jeter des restes de poissons dans l’eau. Ça a toujours été la manière de fonctionner. Le hic, c’est qu’ils croient que l’on peut jeter n’importe quoi dans la rivière ; la nature saura faire le reste », répète mon interprète, une étudiante en journalisme d’une vingtaine d’années et résidente de Manaus depuis toujours.

Les polluants, une goutte dans un océan?

Indubitablement, la ville de Manaus peut compter sur une eau abondante, constamment renouvelée. Elle est située à la rencontre de deux importantes rivières: le Solimões, provenant des montagnes du Pérou, et le Rio Negro, dont la source prend naissance en Colombie, qui se rejoignent à Manaus pour former ce que l’on appelle l’Amazone.

Les polluants déversés dans les ruisseaux de la ville aboutissent dans ce fleuve titanesque, au débit moyen de 185 000m3/seconde. Ils sont ensuite emportés par le courant… ils ne sont qu’une goutte d’eau dans un océan. « Si on baignait dans ces eaux polluées, il faudrait réagir. Dans ce cas-ci, on ne voit pas les impacts ; ils sont dilués », indique le chimiste Sebastião Atila.

Toutefois, ce temps d’insouciance est révolu : « On a déjà décelé la présence de métaux lourds dans l’environnement, à des niveaux qui méritent notre attention » de commenter Socorro Rocha Silva, une autre chimiste rencontrée dans les bureaux de l’INPA à Manaus. Selon Silva, en 1994, des chercheurs ont commencé à faire part de ce problème aux responsables de la municipalité. En 2002, on a commencé à prendre conscience qu’il fallait agir.

Mais le mal est déjà fait. « Il est difficile de retirer ces éléments chimiques de la nature; ils se répandent dans l’organisme des plantes et des animaux, mais aussi des poissons. Ceci est plus inquiétant, car il s’agit de la base de l’alimentation ici. »

Le bassin amazonien draine une surface de 6 950 000 km2, soit 40% de l’Amérique du Sud. Il est de loin le plus imposant réseau hydrographique de la planète; il apporte 20% de toute l’eau se déversant dans l’océan Atlantique. À 300 kilomètres des côtes, on peut encore percevoir une modification de la couleur et de la salinité de l’océan, tant le volume d’eau apporté par l’Amazone est important. Dans la catégorie des cours d’eau, il est un mastodonte

Références:


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