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La même étude, deux interprétations. Selon Le Monde, « Une agriculture 100 % biologique pourrait nourrir la planète en 2050 ». Alors que selon le New Scientist, « Si nous mangions seulement bio, ce serait un désastre environnemental ». Comment expliquer cette contradiction ?

En fait, la contradiction n’est qu’apparente. Le journaliste Michael LePage, du New Scientist, a lui aussi lu, comme son collègue, que l’étude parue le 14 novembre dans Nature Communications concluait qu’il était « possible » d’avoir, en 2050, près de 10 milliards de personnes ne mangeant que « bio ». Mais il a aussi vu que pour en arriver là, le prix à payer serait très élevé : il faudrait utiliser de 16 à 33 % plus de terres agricoles pour produire la même quantité de nourriture qu’avec une agriculture « conventionnelle ». Certes, il serait théoriquement possible de réduire ce chiffre si, en parallèle, on parvenait à réduire considérablement le gaspillage alimentaire et la consommation de viande, mais c’est un pari risqué, note Michael LePage : que se passe-t-il si on n’arrive pas à cette réduction aussi vite qu’espéré ?

Comment cela fonctionnerait-il en pratique ? Interdirait-on aux fermiers de devenir « bio » tant que la consommation de viande n’aurait pas diminué ? Leur ordonnerait-on de revenir à une agriculture conventionnelle si le gaspillage alimentaire augmentait ?

En fait, les bémols associés à un scénario « 100 % bio » sont tellement nombreux — davantage de terres agricoles à exploiter, déficits d’azote dans le sol, et le réchauffement climatique, qui va rendre une partie des sols moins productifs — que les auteurs de l’étude eux-mêmes le soulignent dès l’introduction : « aucune des stratégies [proposées] ne nécessite une implantation complète ; seules leurs implantations partielles combinées apportent un futur alimentaire plus durable ». Traduction : l’idéal serait un mélange de « bio » et d’autres scénarios, plutôt que de mettre tous les oeufs dans le même panier.

Dans l’ensemble, les résultats montrent que, par exemple, un système alimentaire comportant une combinaison de 60 % de production bio, 50 % d’agriculture moins énergivore [par rapport à la période 2005-2009] et 50 % de réduction du gaspillage alimentaire, aurait besoin de peu de terres additionnelles.

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Des bémols qui n’ont pas échappé à l’auteur de l’article du Monde, qui se fait beaucoup plus prudent dans le texte que dans le titre : « un défi de taille, alors que le bio ne représente que 1 % de la surface agricole utile dans le monde – 6 % en France. »

De plus, comme l’étude, réalisée sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), utilise 2050 comme année de référence, la question du réchauffement climatique d’ici 2050 constitue une variable à ne pas négliger : dans leur scénario le plus pessimiste (c’est-à-dire celui où les changements climatiques auraient un impact négatif sur les sols agricoles), la production alimentaire par hectare n’augmenterait pas du tout. En revanche, précisent-ils au terme de leur analyse de la littérature scientifique, certaines recherches vont jusqu’à prédire « une diminution de la production alimentaire » en raison de la hausse des températures, mais « nous avons décidé de ne pas inclure ces possibilités dans notre scénario ». Un choix qui pourrait faire toute la différence en 2050, s’il s’avérait qu’il faut accroître la déforestation pour augmenter les terres agricoles de 16 à 33 %…

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