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Les plaines d’inondations constituent des milieux à la fois fertiles — qui remplissent plusieurs services pour la nature — et fragiles — ce qui n’arrange rien quand on sait combien elles sont souvent perturbées par les activités humaines.

Muni de grandes bottes, le chercheur Gilbert Cabana a parcouru la plaine du lac Saint-Pierre. « C’est une source de productivité fantastique dont profitent de nombreuses espèces de poissons », assure le chercheur au département des sciences de l’environnement de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) et membre du Centre de recherche sur les interactions Bassins versants - Écosystèmes aquatiques (RIVE).

Entre Sorel-Tracy et Trois-Rivières, le lac Saint-Pierre, long de 32 km par 14 km de large, fait partie de la voie maritime du Saint-Laurent et compte aussi des îles et des zones humides où viennent nicher de nombreux oiseaux aquatiques migrateurs, tels les grands hérons.

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À l’aide de grandes chaudières et de filets, l’équipe du Pr Cabana a dénombré des dizaines d’espèces profitant de la montée des eaux — barbottes, ménés, achigans, etc. Le projet de recherche vise à cerner la contribution de cette plaine d'inondations à la production de poissons. « C’est encore un écosystème méconnu en raison de son caractère changeant. Les crues diffèrent d’une année à l’autre et donc, les bénéfices pour la vie qui s’y trouve », relève le chercheur.

« La plaine inondable du lac Saint-Pierre est reconnue pour être une frayère pour plusieurs espèces comme la perchaude et le grand brochet » ajoute le candidat au doctorat en sciences de l'environnement de l’Université du Québec à Trois-Rivières, Luc Farly.

En plus d’être cette pouponnière, elle est aussi un garde-manger idéal : lorsque l’eau monte au printemps, elle apporte des nutriments, en plus de rendre solubles ceux présents sur le site. Selon le jeune chercheur, la faible vélocité du courant favorise en plus la sédimentation de la matière en suspension. « Cela augmente la clarté de l’eau pour une meilleure pénétration de la lumière nécessaire à la photosynthèse. » Abondance de nutriments et beaucoup de lumière : deux facteurs qui augmentent la productivité.

Il faut encore noter qu’une eau presque stagnante de faible profondeur se réchauffe plus vite qu’une eau profonde et plus rapide. « Cette différence de température offre un autre avantage pour la croissance des organismes », ajoute Luc Farly.

Une plaine fertile sous pression

Les chercheurs de l’UQTR ont toutefois observé une diminution de cette productivité au cours de la période d’étude. L’agriculture serait en cause : son empiètement sur les milieux naturels, mais aussi un changement dans le type d’agriculture, qui est passée, depuis 30 ans, des champs fauchés et en friche aux champs labourés pour la culture du maïs et du soya.

Les champs labourés augmentent la turbidité de l’eau, ce qui limite la lumière nécessaire à la photosynthèse. Sans compter qu’en raison des sols mis à nu, beaucoup d’organismes n’ont plus accès à leurs habitats, ce qui diminue la biodiversité dans la plaine.  

De plus, les inondations viennent submerger des terres agricoles chargées en engrais et pesticides, avec des effets négatifs sur la croissance, la survie et la reproduction des organismes marins. Cette plaine pourrait donc devenir une sentinelle des changements en matière de pollution qui se produisent un peu partout dans les cours d’eau et les milieux humides.

Enfin, les changements climatiques pourraient eux aussi affecter négativement les plaines inondables : la diminution du couvert de neige aura pour effet de réduire la taille des inondations printanières et donc, diminuera la superficie de la plaine submergée, réduisant d’autant sa productivité.

Un milieu en réhabilitation

Les sciences sociales proposent elles aussi des réponses aux projets de conservation, par le regard différent qu’elles posent sur les discours parfois conflictuels des différents usagers. C’est à cela que s’intéresse Ann Lévesque. La candidate à la maîtrise au département des sciences naturelles de l’Université du Québec en Outaouais a sondé 58 usagers autour du lac Saint-Pierre, « pour mieux comprendre les convergences et les divergences liées à la cohabitation des usages agricoles et fauniques ».

Pour cela, la chercheuse du Laboratoire d'économie écologique UQO-ISFORT a utilisé la méthode Q, bien connue de la psychologie et des sciences sociales, pour étudier la subjectivité des acteurs.

Il en ressort trois discours émergents :

  • le premier, pro-conservation, s’oppose au statu quo et soutient que la préservation est essentielle, face à la menace de l’agriculture intensive ;
  • le second, favorable à l’agriculture dans le littoral, conscient de la fragilité du milieu, favorable au moratoire sur la perchaude ;
  • celui des producteurs du lac Saint-Pierre, également opposés à retirer l’agriculture, mais ouverts aux changements de pratiques — avec des compensations financières

La chercheuse observe des zones de convergence entre le second et le troisième discours. « Ce qui ressort, c’est la volonté de légitimer les savoirs locaux des agriculteurs et des pêcheurs. Cette connaissance du milieu est souvent peu valorisée », relève-t-elle.

Son étude exploratoire sera publiée cet automne et inclura une analyse en profondeur des discours des usagers du littoral du lac Saint-Pierre. Au-delà de l’agriculture, du développement urbain ou des changements climatiques, la plaine inondable devra compter sur la bonne volonté de tous ses acteurs pour réussir sa réhabilitation. Et pour que la perchaude et l’achigan puissent de nouveau frétiller dans les eaux printanières.

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