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L'un des domaines les plus excitants de la physique aujourd'hui est la physique de la «matière vivante». Et l'on s'aperçoit que certains principes physiques classiques ont de surprenantes implications biologiques ...

Vous avez peut-être entendu parler du Démon de Maxwell, un «paradoxe» classique de la thermodynamique.

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Considérez un gaz séparé en 2 compartiments, gauche et droit. Au milieu, une petite trappe contrôlée par le Démon. Celui-ci va alors laisser passer ou non des molécules de gaz d’un compartiment à l’autre en fonction de leurs vitesses: les molécules lentes à gauche, les rapides à droite. Alors, comme la vitesse des molécules se traduit macroscopiquement en température, le compartiment de gauche se refroidit là où celui de droite se réchauffe.

En faisant cela, le Démon diminue le «désordre» du gaz —en fait une quantité physique appelée l’entropie— puisque qu’il «ordonne» les molécules en fonction de leurs vitesses. Or cela contredit le second Principe de la Thermodynamique qui affirme qu’un système isolé doit voir son entropie augmenter [pour la réponse au paradoxe, voir encadré ci-contre].

Le Démon de Maxwell n’était au départ qu’une expérience de pensée amusante. Mais on peut imaginer une version un peu modifiée de cette expérience: imaginons qu’au lieu de trier des molécules d’un même gaz en fonction de leur vitesse, on trie des molécules de type différents, concentrant les molécules de type A à gauche et de type B à droite. Il se trouve que de tels Démons de Maxwell se tapissent au coeur de nos cellules et des processus biologiques les plus fondamentaux.

Un exemple parmi d’autres: les cellules, au cours de leurs vies, tout comme nous, vieillissent. Avec le temps, elles vont accumuler des protéines mal repliées, divers petits pépins pas forcément bien réparés, etc… Imaginons maintenant qu’une «vieille» cellule de levure se divise: si elle se reproduit à l’identique, les stigmates de vieillissement vont être répartis entre les 2 cellules. Si bien qu’une cellule «neuve» ne le sera pas tout à fait, ce qui peut poser des problèmes de survie à long terme. Ce manque de rajeunissement cellulaire est peut-être arrivé à la célèbre brebis clonée Dolly, décédée prématurément et atteinte de pathologies présentes d’habitude chez les individus âgés.

Comment résoudre ce problème plus généralement? Et bien, imaginons que notre cellule, en se reproduisant, se divise en 2 compartiments, que nous appellerons «mère» et «fille». Une façon simple de distinguer entre ces 2 compartiments pourra être de les doter de morphologies différentes, par exemple, la cellule fille pourra commencer en étant beaucoup plus petite que la cellule mère, sous forme de «bourgeon», comme dans la levure de boulanger. Une fois ces 2 compartiments bien définis, invoquons un Démon de Maxwell pour réaliser le tri entre bonnes et mauvaises molécules! Toutes les mauvaises molécules, laissons-les pour la mère, qui, du coup, va prendre un petit coup de vieux au moment de la mitose (division cellulaire). La fille, en revanche, pourra repartir toute fraîche, comme neuve, sans les stigmates biochimiques de l’histoire passée de sa maman.

Il se trouve effectivement que les levures du boulanger, en vieillissant, génèrent des «bouts d’ADN» (appelés ERC) qui flottent dans le noyau de la cellule, et qui restent localisés chez la mère lors de division cellulaire. Dans un article publié dans Nature en 2008, Shcheprova et al. ont pu mettre en évidence quelques caractéristiques du Démon de Maxwell responsable de cet effet. Ils ont rendu fluorescentes plusieurs familles de protéines du noyau, et ont alors utilisé la technique dite de «photobleaching» —qui consiste à «éteindre» définitivement la fluorescence des protéines avec un laser focalis— pour visualiser où les protéines se rendaient.

En focalisant le laser dans la cellule mère, ils ont vu que, pour certaines familles de protéines, seule la cellule mère s’éteignait, suggérant que pour ces protéines, il n’y avait pas d’échanges entre la mère et la fille bien qu’elles communiquent clairement physiquement! Le vieillissement relatif de la mère est par ailleurs avéré: en suivant les cellules sur le long terme, on peut voir que les mères ont une probabilité bien plus grande de mort que les filles.

Plus spectaculaire encore: en désactivant une protéine, on peut fabriquer des mutants qui ne sont plus capables de trier ces bouts d’ADN et les protéines du noyau entre mère et fille, ce qui revient à exorciser le Démon de Maxwell. Alors, dans ce cas, il se trouve que les mères et les filles «vieillissent» de façon similaire: il n’y a plus de différence entre elles, un peu comme dans le cas de la brebis Dolly, leur probabilité de mourir est identique!

Ainsi donc, le Démon de Maxwell biologique, pour les levures en tous cas, explique simultanément 2 processus connectés: il est à la fois responsable du «rajeunissement» cellulaire des cellules naissantes et du vieillissement accéléré des cellules mères.

Des Démons de Maxwell similaires sont courants en biologie, et donnent lieu ces temps-ci à pas mal de considérations biophysiques intéressantes, notamment sur l'énergie nécessaire pour alimenter les processus biochimiques associés. L'approche physique a remporté de nombreux succès en définissant la nature en termes de «principes» (conservation de la masse, de l'énergie, etc...). Il est assez fascinant de constater que ce contre-exemple classique de la physique est possiblement un vrai principe des systèmes complexes vivants.

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