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Il y a 50 ans, Rod Serling ouvrait chaque épisode de la télésérie The Twilight Zone en nous présentant des gens ordinaires qui étaient, littéralement, transportés dans une autre dimension. Pour un journaliste scientifique, se retrouver dans une assemblée de Donald Trump, il y a un peu de ça.

D’abord, sans surprise, il n’a pas beaucoup parlé de science. Au cours de ce rassemblement, lundi soir dans le gymnase d’une école de Nashua, New Hampshire, il y a eu, en tout et pour tout, une seule phrase dans un discours d’environ 60 minutes. «Nous avons un président qui considère le réchauffement global comme plus important que de combattre l’État islamique.» Voilà, la cause était entendue, on pouvait passer à autre chose.

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Mais l’intérêt pour moi était dans la salle, pas sur le podium. Dans The Twilight Zone, les protagonistes étaient la plupart du temps des gens ordinaires, vivant des vies ordinaires, dans une ville ordinaire : l’anomalie était subtile, presque invisible si la caméra ne nous y avait pas conduits.

Je m’attendais à un public déphasé par rapport à ma réalité, des caricatures d’Américains réactionnaires en train de brandir des slogans vaguement racistes. J’avais plutôt des gens tranquilles et souriants, de tous les âges, des jeunes comme des vieux, des hommes et des femmes —j’irais même jusqu’à dire qu’un grand nombre était d’un enthousiasme poli pour Trump. Au point où lorsqu’il s’est lancé dans une tirade interminable sur l’éditeur d’un journal local, des gens autour de moi ont commencé à trouver le temps long, certains demandant à leur voisin de quoi Trump était en train de parler. Sans succès : je me suis demandé si j’étais le seul dans ce coin de la salle à avoir lu l’éditorial en question.

C’est que ce matin-là, l’éditeur de l'Union Leader, le plus gros quotidien du New Hampshire, s’était fendu d’un éditorial, non pas dans la page éditoriale, mais à la Une. Chapeauté d’un titre on ne peut plus clair : «La campagne de Trump insulte l’intelligence des électeurs du New Hampshire».

Certes, il a suffi ensuite que Trump laisse tomber cette histoire pour qualifier tous les journalistes de «malhonnêtes» et d’«ordures» (sleazebags) pour que ses partisans les plus bruyants sortent de leur torpeur et l’applaudissent.

Il a parlé pendant plus de 60 minutes sans notes. Et le journaliste scientifique en moi aurait préféré qu’il lise des notes, parce qu’en une heure, il est resté sur le même sujet pendant plus de deux minutes consécutives... à deux reprises seulement : sur le dos de ce journaliste, et sur le port d’armes. Le reste du temps, il a énuméré des sondages qui lui sont favorables, a parlé d’un immigrant mexicain illégal qui a «violé et sodomisé une femme», a vanté son ami Poutine, est revenu sur d’autres sondages, a parlé d’Hillary Clinton (huées dans la salle), du New Hampshire qui a de gros problèmes de drogues à cause des immigrants, d'autres sondages, des immigrants syriens dont «personne ne sait quoi que ce soit», de Jeb Bush (huées dans la salle), des sondages, de l’entente avec l’Iran et des sondages. Si Trump était un de mes étudiants, il aurait zéro pour la structure du texte.

Bon, je ne m’attendais pas à ce qu’il soit transcendant, mais je m’attendais tout de même à un habile orateur. Or, j’avais devant moi un trouble de déficit de l’attention ascendant narcissique.

S’il est toujours comme ça dans ses assemblées partisanes, ça explique qu’il ne rassemble pas des foules énormes —1200 personnes lundi soir, c’était beaucoup pour la petite école Pennichuck de Nashua, mais on était très loin des dizaines de milliers de personnes attirées par Bernie Sanders ces derniers mois.

Sauf que ça signifie que si Trump ne doit pas sa popularité à ses discours, il la doit à des phrases de 8 secondes faites sur mesure pour la télévision. Je ne dis rien là de neuf, mais l’écouter pendant une heure, c’est découvrir toute l’ampleur du problème.

D’autres avant moi ont tenté de faire son portrait psychologique: charmeur, en mal d’admiration, doté d’un très gros ego —rien d’étonnant jusque-là pour un politicien, direz-vous. Mais son obsession des immigrants, son absence totale d’empathie et son hostilité à toute critique, font un mélange délétère pour le chef éventuel de la première puissance militaire mondiale. Et ne promettent pas des jours heureux à un traité international sur la réduction des gaz à effet de serre, si d’aventure Trump était élu. Dans cette dimension ou dans une autre.

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