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C’est l’histoire d’une enquête et l’histoire d’un hasard. Deux chercheurs surveillent le parasite Plasmodium, l’agent de la malaria des oiseaux, chez les moustiques nord-américains. Ils découvrent deux nouvelles espèces du parasite, spécifiques du chevreuil. Deux anomalies ici.
  • Il n’y a pas de Plasmodium de mammifères dans les Amériques.
  • C’est la première fois (ou presque, j’y reviendrai plus tard) qu’on trouve un Plasmodium chez les cervidés.

Ellen Martinsen et Robert C. Fleisher, chercheurs au National Zoological Park du Smithsonian’s Institute à Washington capturent régulièrement les moustiques de la ville pour vérifier si certains d’entre eux portent la malaria.

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En effet, on est dans un zoo. Il y a donc beaucoup d’animaux, de plein d’espèces différentes. Certaines ont un statut menacé. L’idéal est de les garder en santé. Et, même s’il n’y a pas de malaria indigène chez les mammifères dans le Nouveau-Monde, cette maladie est relativement fréquente chez les oiseaux, dont les migrateurs.

Le Plasmodium est un parasite du sang. Le nôtre et celui des animaux à sang chaud. Il pratique le ménage à trois et est assez pointilleux. Il lui faut un hôte (un mammifère, un oiseau ou un lézard) et un vecteur. Chaque espèce de Plasmodium a ses préférences, de l’un comme de l’autre.

Les chercheurs procèdent à une analyse génétique des glandes salivaires des moustiques (c’est là que le Plasmodium complète son cycle). Et trouvent quelque chose de bizarre : une séquence qui ne ressemble à aucun Plasmodium connu.

Ils retournent vers le moustique pour retracer son dernier repas. Le résultat les surprend : il s’agit d’un chevreuil, l’autre nom du cerf de Virginie (Odocoileus virginianus).

C’est la deuxième fois qu’on découvre du Plasmodium chez le chevreuil. La première, c’était en 1967. Des chercheurs avaient trouvé un parasite dans la rate d’un cerf de Virginie.

Un. Un seul. Rien depuis. Son petit nom : P. odocoilei .

Puis là, nos comparses se disent : « Tant qu’à faire, si on checkait les autres chevreuils du coin ». Ce qu’ils firent. Et, au fil de leur recherche, ils collaborent avec des scientifiques d’un peu partout aux États-Unis. Pour obtenir des échantillons, pour comprendre.

Les résultats qu’ils présentent aujourd’hui pourraient presque être qualifiés de préliminaires.

Côté vecteur Ils capturent 1978 moustiques dans deux sites, l’un sur la côte est, l’autre sur la côte ouest. Seuls deux d’entre eux portaient le parasite, tous deux de l’espèce Anopheles punctipennis, connu pour transmettre efficacement la malaria humaine.

Côté hôte Près d’un chevreuil sur cinq avait du P. odocoilei. Dans certaines régions, la prévalence du parasite atteint 25 %. Par contre, le parasite n’est présent qu’en très faible densité dans le sang : 1 parasite pour 65 000 globules rouges. Ce n’est pas une prise de sang qui permet de le voir, mais une prise de rate.

Fait amusant : les cerfs infestés se trouvent tous à l’est du Mississippi. Selon Ellen Martinsen, l’environnement à l’ouest du fleuve, plus sec, ne favoriserait pas la présence des moustiques. Les chercheurs n’ont trouvé le parasite que chez le chevreuil. Rien chez les autres cervidés sauvages qu’ils ont testés (wapiti et cerf mulet). Rien chez les autres cervidés du zoo. Rien chez les vaches de la ferme éducative.

En fait, selon les chercheurs, c’est un coup de chance qui leur a permis de découvrir ce « nouveau » Plasmodium. De nombreuses équipes surveillent la malaria dans la faune.

Enfin « nouveau »… pas si nouveau que ça. Les chercheurs estiment que le parasite serait arrivé dans le Nouveau-Monde en même temps que le chevreuil, c’est-à-dire il y a 4,2 à 5,7 millions d’années. Ils ont d’ailleurs remarqué qu’il y avait deux parasites, non pas un. Deux espèces totalement inconnues à ce jour. Depuis qu’ils ont partagé leur découverte avec leurs collaborateurs, d’autres équipes isolent de l’ADN de P. odocoilei dans les moustiques et les chevreuils qu’ils analysent.

À quoi ressemble la malaria du chevreuil ? Quel effet a-t-elle dans la population ? A-t-elle un hôte non cervidé ? Quel risque pose-t-elle pour les animaux sauvages ? Ce sont d’autres études qui répondront à toutes ces questions.

En attendant, Ellen Martinsen et Robert C. Fleisher se demandent si d’autres espèces inconnues de Plasmodium ne se cacheraient pas dans la nature.

Source : Ellen S. Martinsen, Nancy McInerney, Heidi Brightman, Ken Ferebee, Tim Walsh, William J. McShea, Tavis D. Forrester, Lisa Ware, Priscilla H. Joyner, Susan L. Perkins, Emily K. Latch, Michael J. Yabsley, Joseph J. Schall et Robert C. Fleischer. Hidden in plain sight: Cryptic and endemic malaria parasites in North American white-tailed deer (Odocoileus virginianus) . Science Advances Vol. 2, no. 2, e1501486

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