billet_1_image_2_-_pour_proteger_les_troupeaux_et_donc_le_loup_il_faut_reintroduire_des_humains_dans_la_bergerie.jpg

Les avantages au retour du loup sont connus, et je ne suis pas le premier à en parler sur l’ASP. Les moyens pour rendre possible la cohabitation avec cet emblème de la faune sauvage sont connus, eux aussi. En France, les débats se politisent sur la question et bloquent de réelles avancées. Pourtant, il s’agit de faire dialoguer deux échelles qui ne s’opposent qu’en apparence.

Il s'agit du deuxième de trois billets écrits à la suite d’une consultation publique française sur la question de l’abattage de loups.

Billet n° 1 : La Bataille du loup

Abonnez-vous à notre infolettre!

Pour ne rien rater de l'actualité scientifique et tout savoir sur nos efforts pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation!

Billet n° 3 : Qui a peur du grand méchant loup ?

Échelle globale : accepter le loup pour protéger la biodiversité

Comme tout pays d’Europe, la France est signataire de la convention de Berne, qui a pour vocation de protéger des espèces comme le loup. De nombreux pays appliquent cette convention, donc actuellement le prédateur finira toujours par se réintroduire dans nos montagnes. Il ne s’agit alors pas d’exterminer cette espèce en danger, ni même de « réguler » sa population, mais d’accepter sa présence. La question est donc : pourquoi vouloir rendre possible la cohabitation avec le loup ? La présence du loup est fondamentale pour la biodiversité que l’on connaît, autant que la présence de l’élevage. Les grands carnivores comme le loup régulent les écosystèmes : ils empêchent la propagation d’épidémies dans les populations d’animaux sauvages en prélevant les individus malades, ils limitent les dégâts causés à l’agriculture par de gros animaux destructeurs comme les sangliers, ils participent à la bonne santé des paysages de forêts et même de rivières en déclenchant une cascade de régulation qui commence par la modification du comportement des herbivores sauvages. Pas d’épidémies qui iront se propager aux troupeaux, moins de dégâts causés par le gros gibier dont la pullulation pose souvent question, moins de pression des herbivores sauvages qui entrent en compétition avec les troupeaux et détruisent les paysages lorsqu’ils prolifèrent en excès, vous voilà parés pour répondre à la question de l’utilité écologique multiple des grands prédateurs (en termes techniques, on parle de services écosystémiques).

Pour savoir dans quelle montagne nous voulons vivre, que ce soit pour le travail ou le loisir, la question est donc celle du rapport à la nature que nous voulons établir : quel équilibre écologique souhaitons-nous protéger ? D’après le cliché des pro-loups, il faut exterminer ou effrayer tout ce qui ne nous plaît pas, ici les grands prédateurs, dans une logique de rejet où l’humain domine la nature. Soit un équilibre totalement artificiel, où il n’existe plus aucune vie dans les montagnes, ni chevreuil ni campagnol, mais du coup, ni végétation, donc ni d’élevage, donc en fait ce n’est pas envisageable. Soit un équilibre semi-artificiel comme maintenant, où les chasseurs essaient autant que faire se peut mais ça ne marche pas très bien de remplacer le loup en tant que régulateur des écosystèmes. Bof. D’après le cliché anti-loup, il faut tuer le pastoralisme en laissant la montagne aux grands prédateurs, dans une logique de sanctuaire où l’humain doit sortir de la nature. Un équilibre naturel, donc. Je vais me permettre de partir du principe que personne ne veut ça. Ce cliché de retour en arrière est d’ailleurs tellement utilisé comme technique de décrédibilisation, que c’en est devenu un cliché d’utiliser ce cliché. Au-delà de ces deux clichés, il faut donc viser un équilibre où les activités humaines sont intégrées dans la nature et non l’inverse, que l’on peut appeler un équilibre semi-naturel. Cela ne devrait nous mener qu’à une seule question, qui se pose autant dans le cas général que dans le cas particulier de l’élevage : comment cohabiter avec les grands prédateurs tels que le loup ?

Échelle locale : aider les éleveurs pour protéger le loup

Les grands carnivores contribuent à la bonne santé des écosystèmes. Les éleveurs peuvent tirer parti de la présence du loup, à condition qu’ils pratiquent un pastoralisme adapté de manière à ne pas subir la prédation. Il s’agit bien de s’en protéger, non de seulement compenser les pertes occasionnées par la prédation. Dire à un éleveur « Le loup a tué tant de moutons dans ton troupeau, tu seras indemnisé », ce serait comme dire à un parisien « Ta maison a été inondée ce printemps, tu seras indemnisé à hauteur des pertes – mais juste les pertes directes, pas le choc psychologique et le temps perdu à tout remettre en place, et on ne va pas en plus s’amuser à mettre en place des mesures de protection pour plus tard ». Quels moyens de protection mettre en place ? À cause de la dynamique de discussion stérile autour de cette question ultra-politisée, les arguments échangés autour des techniques possibles ressemblent parfois à une dispute entre des enfants de quatre ans. Clôtures ? Les éleveurs disent qu’elles sont bien mises en place, mais que ça ne marche pas ; les écologistes disent que ça ne marche pas, parce qu’elles ne sont pas mises bien en place. Chiens patous ? Les éleveurs remarquent que ces chiens créent d’autres problèmes, entre destruction de la flore et attaques sur les randonneurs ; les écologistes soulignent que ces problèmes ne surviennent que lorsque ces chiens sont mal éduqués. Nouvelles technologies ? Les éleveurs se moquent, les écologistes pataugent. Les accusations extrêmes accusent l’autre bord de complot (si, si, ça va loin). La question est donc : s’agit-il de mauvaises solutions, ou de bonnes solutions mal appliquées ? Il s’agit à mon avis de bonnes solutions, mais qui ne peuvent bien s’appliquer que sur une base solide, ce qui dénote un problème de fond. Les éleveurs français sont aujourd’hui acculés dans un système non durable, qui n’est plus adapté à la présence du loup et n’a donc d’autre réponse que de chercher à le tuer. La question se précise en : quels moyens mettre en place en vue d’une transition vers un pastoralisme durable ?

Sans être spécialiste de la question, j’ai vu des articles et des commentaires intéressants qui m’ont fait comprendre que des solutions sont déjà identifiées. Des moyens d’ordre économique, comme établir des mesures de protectionnisme vis-à-vis de l’élevage local français. Des moyens d’ordre sociaux, comme revaloriser le métier d’éleveur. Surtout, des moyens humains, auxquels pourront alors s’ajouter des moyens techniques complémentaires (clôtures adaptées, chiens patous, nouvelles technologies), ceux-là même qui ne fonctionnent pas actuellement parce qu’ils nécessitent une base humaine solide. Des embryons de solutions existent déjà (par exemple, l’État verse une subvention de 61€ par jour si un gardien est embauché), il faut donc mettre en valeur de telles systèmes. Et il n’y a pas que le pastoralisme qui doit devenir durable, mais toutes les activités de montagne. Par exemple, interdire la chasse aurait pour effet d’augmenter la population de proies sauvages pour les loups, ce qui diminuerait le prélèvement de moutons élevés dans le cadre d’un pastoralisme durable. Préserver de grandes zones boisées dynamiques, connectées et remplies de grands herbivores relève du même principe. Mais je m’égare, revenons à nos moutons.

L’idée principale est de faire revenir l’humain dans l’alpage, comme le souligne cet article, récompensé par le prix du journalisme agricole 2014 pour sa qualité. Oui, j’ai déjà mis ce lien dans le premier billet (et en gras, c’est dire), mais c’est parce que, s’il y a un seul article à lire en complément de ce texte, c’est bien celui-là, ne serait-ce que pour son dernier paragraphe. On y trouve ma citation préférée : « J’ai aussi compris qu’il y a des méthodes de gestion des troupeaux qui ont été perdus et que par conséquent les dégâts sont plus importants que ce qu’ils pourraient être. J’ai travaillé avec deux troupeaux, l’un très mal géré – car la ferme était en totale débandade – l’autre bien mieux. Il y a eu 150 pertes dans un troupeau, zéro dans l’autre. Il y a donc un savoir-faire qui s’est perdu qui serait nécessaire de retrouver pour parvenir à la cohabitation. » On y trouve aussi la notion de pastoralisme durable, justement soulignée par des éleveurs réfléchis, ainsi qu’une citation montrant que la bataille stérile et les consultations publiques sans aucune pertinence ne sont pas une fatalité : « La prédation a remué le milieu. Les écolos deviennent aides-berger, les bergers voient leur situation s’améliorer et les éleveurs se sont mis à voyager pour comparer les techniques. »

 

Je donne