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En ce début d’hiver, un groupe d’étudiants et de professeurs s’affaire autour d’une grue au bout de laquelle balance une fine passerelle en béton. Pour comprendre l’excitation alors palpable autour de ce qui paraît pour le simple observateur comme un simple bloc de caillou artificiel, il faut comprendre qu’il symbolise une possible réponse à deux problèmes environnementaux majeurs : la production de ciment, responsable de 7 % des émissions anthropiques (c'est-à-dire causées par l’Homme) de CO2, et la valorisation du verre, qui s’entasse en large quantité dans les centrales de tri.

La mise en place, en 1998, d’une politique ambitieuse de gestion des matières résiduelles au Québec a permis la récupération d’une quantité de verre de plus en plus importante. En 2013, la quantité issue de la collecte sélective était de plus de 192 200 tonnes (soit plus de 710 avions A380). Cependant, comme l’illustre la fermeture de l’usine Klareco, le verre issu du recyclage peine à trouver des filières de valorisation viables. La principale raison en est que ce qui sort des centres de tri est majoritairement du verre mixte, un mélange de verre de différents types et couleurs qu’il est difficile et coûteux de séparer et qui, en l’état, ne peut être réutilisé dans les fonderies, car il ne rencontre pas les standards de qualités exigés. Ainsi, les bouteilles jetées dans les poubelles de tris sont, encore aujourd'hui, en grande partie utilisées comme simple matériau de recouvrement de chemins d’accès, ou bien mises en décharge.

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Parmi les solutions à l’étude pour maximiser la valorisation du verre mixte, l’université de Sherbrooke travaille à son incorporation dans le béton. Pourquoi ? Parce que la poudre de verre, une fois broyée suffisamment finement, présente des caractéristiques particulièrement intéressantes pour l’industrie du béton : c’est une pouzzolane.

Mais qu’est-ce donc qu’une pouzzolane ? Pour illustrer son intérêt technologique, rien ne vaut quelques moments d’admiration de constructions romaines et tout particulièrement, du Panthéon de Rome.

Achevée en 125 après J.-C., la coupole de 43,5 mètres de diamètre (soit 1/2 terrain de soccer ou 7/10 d’un terrain de hockey) et autant de hauteur a traversé deux millénaires sans présenter de signes de faiblesses notoires dans sa structure. Cette prouesse technologique est notamment due à une cendre volcanique que les Romains mélangeaient à leur mortier et qu’ils trouvaient dans la région de la ville de Pouzzoles : la pouzzolane. Voici comment cette dernière agit : en s’hydratant, les particules de ciment produisent du silicate de calcium hydraté, responsable de la solidité du ciment (aussi appelé CSH et dont la réelle structure est encore discutée), ainsi que de la portlandite (ou chaux éteinte). La pouzzolane réagit avec cette dernière, ainsi qu'avec l’eau, pour créer encore plus de CSH, renforçant par conséquent la résistance mécanique du béton. Par extension, on appelle communément « pouzzolane » tout matériau réagissant avec l’eau et les produits d’hydratation du ciment pour former des hydrates de silicate de calcium.

C’est donc une nouvelle doublement prometteuse : en plus d’ouvrir la voie à une filière de valorisation à haute valeur ajoutée pour le verre mixte, l’utilisation de la poudre de verre permet de réduire la teneur en ciment de chaque mètre cube de béton produit et d’allonger sa durée de vie.

Afin de valider le bénéfice environnemental présumé de cette valorisation du verre, l’analyse du cycle de vie est un outil largement plébiscité. Il permet d’évaluer plusieurs impacts environnementaux (par exemple les gaz à effet de serre, la destruction de la couche d’ozone, l’acidification, etc.) d’un produit ou d’un service en prenant en compte l’ensemble de son cycle de vie, de l’extraction des matières premières à la mise en décharge.

Dans le cas de la passerelle piétonne évoquée en début d’article, les capacités mécaniques du béton qui la constitue ont permis aux architectes de proposer un design plus épuré (avec moins de matière) tout en triplant sa durée de service. Ainsi, l’analyse de son cycle de vie révèle que l’utilisation du béton ainsi développé par les chercheurs de l’université de Sherbrooke réduit l’ensemble des impacts environnementaux considérés par rapport à un béton classique. À titre d’exemple, les émissions de gaz à effets de serre sont diminuées de 55 % !

Cet emploi inattendu du verre condamné à la décharge est un encouragement à poursuivre la transformation de notre rapport aux déchets, afin de les voir comme source de matières premières, comme solutions potentielles.

- Joris Deschamps

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