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Les résultats catastrophiques de la dernière enchère Québec-Californie envoient des signaux inquiétants quant à l’avenir du marché du carbone. Au début de mars dernier, les résultats de la 10e enchère du marché du carbone Québec-Californie, tenue le 22 février, ont été dévoilés.


Cette lettre d'opinion de Pierre-Olivier Pineau, professeur titulaire à la chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, a d'abord été publiée dans le quotidien La Presse +.


Catastrophe : seulement 18 % des droits d’émission mis en vente ont trouvé preneur. C’est-à-dire que sur les 65 millions de droits offerts, moins de 12 millions ont été achetés. Ce serait une bonne nouvelle si cela signifiait que nos émissions de gaz à effet de serre (GES) diminuaient : les émetteurs n’auraient conséquemment pas besoin d’acheter des droits d’émission. Rappelons qu’un droit d’émission permet de relâcher une tonne de GES dans l’atmosphère, et que les grands émetteurs sont tenus de faire correspondre un nombre de droit égal à leurs émissions. C’est un système conjoint Californie-Québec mis en place en 2014, dans lequel l’Ontario devrait entrer en 2018.

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Malheureusement, les émissions au Québec et en Californie sont stables depuis 2010. Aucune réduction importante n’a été observée.

Au contraire, les ventes d’essence en 2016 ont battu des records et les émissions industrielles, après un déclin de 1990 à 2010, augmentent légèrement, grâce à la bonne tenue de l’économie.

Les cinq premières enchères Québec-Californie (2014 et 2015) avaient pourtant très bien fonctionné : entre 80 et 100 émetteurs se sont disputé les 64 millions de droits (en moyenne) mises aux enchères chaque fois, de telle sorte que le prix de vente a dépassé le prix minimal de 12,10 $ la tonne fixé par les gouvernements. En 2016, les choses ont commencé à mal tourner : le nombre de participants aux enchères a chuté jusqu’à 43 seulement… et beaucoup de droits sont restés invendus. Ainsi, seulement 11 % ont été vendus en mai 2016. Si les choses semblaient s’améliorer en novembre 2016, avec 81 participants et 88 % de vente, le résultat de l'enchère du 22 février indique seulement 50 participants et plus de 80 % d’invendus. Le prix a donc été maintenu au minimum, soit 17,84 $ la tonne (l’équivalent de 4,2 ¢ le litre d’essence).

Si le nombre de participants a fondu, ceux-ci ont cru en cette enchère : ils étaient prêts, en moyenne, à débourser 20,37 $ la tonne, et la mise maximale a même été de 66,67 $ la tonne. Ce qui a fait baisser les prix, ce n’est pas le manque de conviction, mais bien l’absence de participants.

Pourquoi cette désaffection du marché du carbone ?

Il est très difficile de comprendre la disparition des émetteurs. Ce n’est pas la réduction des émissions, comme nous l’avons dit, ni l’élection de Trump. En effet, il y a eu une enchère après sa victoire, le 8 novembre dernier, et beaucoup d’émetteurs s’y sont présentés. Une explication possible est le jugement attendu de la cour d’appel californienne d’une cause dans laquelle le marché du carbone est accusé d’être une taxe inconstitutionnelle. En effet, les nouvelles taxes en Californie doivent être approuvées par les deux tiers des voix de la législature de l’État. Les démocrates n’avaient pas cette super-majorité avant novembre… mais l’ont obtenue à ce moment. Ainsi, même si la cour d’appel statuait que le marché du carbone est inconstitutionnel, le gouvernement californien serait en mesure de voter une loi établissant une telle « taxe ». Le gouvernement californien ayant maintes fois indiqué son désir de prolonger ce système jusqu’en 2030, rien ne laisse croire qu’il le laissera tomber. Peut-être est-ce la négligence des émetteurs qui est plutôt à blâmer ? La première enchère de l’année semble en effet être moins disputée que la précédente… comme si la priorité des entreprises était ailleurs.

Un choc en préparation

Si le choc n’est pas encore visible, il se fera sentir bientôt. En effet, soit le marché va rebondir, et tous les émetteurs vont venir acheter leurs droits d’émissions manquants aux prochaines enchères, soit le système va effectivement être abandonné. Dans le premier cas, le choc sera un prix élevé : l’offre sera inférieure à la demande (gonflée par le rattrapage), et le prix de la tonne pourrait rapidement monter en 2017, qui sait, jusqu’à 30 à 40 $ la tonne (7 à 9 ¢ le litre d’essence), entraînant une grogne chez les émetteurs. Dans le second cas, qui donne raison à ceux restant en marge des enchères, le marché du carbone tombe. S’ils ont raison, c’est la pierre angulaire du plan actuel de lutte contre les changements climatiques qui chuterait. Ce serait une très mauvaise nouvelle pour l’environnement. C’est pourtant ce que le marché semble croire.

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