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L’information scientifique mérite, au même titre que l’information judiciaire, sociétale, sportive ou politique, d’être questionnée, investie, et traitée par des journalistes dédiés. Malheureusement, elle est parfois reléguée à un rôle secondaire dans les médias généralistes, et ne bénéficie alors pas de la rigueur journalistique accordée à d’autres sujets.

Par exemple, de janvier à août 2017, Le Point a publié une chronique hebdomadaire intitulée «Le biomimétisme selon Idriss Aberkane». Présentée comme un travail de vulgarisation scientifique, cette dernière prétendait «explique[r] en vidéo et par des exemples concrets comment s’inspirer de la nature pour innover durablement».

Ces chroniques sont principalement constituées d’anecdotes décrivant des propriétés surprenantes de certains êtres vivants, et accompagnées de réflexions à prétention philosophique sur la façon dont l’humanité devrait s’en inspirer. Malheureusement, aucune source scientifique ne vient étayer les informations présentées : et pour cause, la plupart d’entre elles sont simplement fausses !

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Malgré de nombreuses critiques émises — notamment sur les réseaux sociaux par différents membres de la communauté scientifique — la rédaction du Point n’a jamais répondu. Les chroniques sont toujours accessibles et aucune des erreurs scientifiques dénoncées n’a été corrigée.

Cela nous semble relever d’un mépris profond et pour le public et pour les sciences. Les erreurs dont nous parlons ne sont ni anecdotiques, ni de l’ordre de la simplification (parfois nécessaire dans le cadre de la vulgarisation scientifique). Il s’agit d’erreurs factuelles, de fond. Pourrait-on imaginer un journal publier un article à propos de «Germinal de Victor Hugo, écrit à Verdun dans les tranchées de la guerre de sécession» sans que cela ne fasse sourciller ? C’est pourtant ce que fait Le Point en laissant affirmer que les couleurs irisées des flaques d’huiles sont dues à la diffraction de Rayleigh (chronique n°5) car non seulement la «diffraction de Rayleigh» n’existe pas (il s’agit en réalité de diffusion Rayleigh) mais en plus ce phénomène n’est en rien à l’origine des irisations qui sont dues à des interférences des ondes lumineuses. Et l’on pourrait encore citer beaucoup d’autres exemples qui sont au mieux des approximations grossières — comme l’affirmation que le terme «désoxy» dans «acide désoxyribonucléique (ADN)» signifie «qui déteste l’oxygène» dans la chronique n°10 (un désoxyose est simplement un sucre dont un groupement hydroxyle «OH» a été remplacé par un atome d’hydrogène H) -ou au pire, des aberrations scientifiques — comme la vision finaliste de l’évolution véhiculée par la chronique n°30 où un serpent «invente une nouvelle stratégie en développant un nouveau type de résistance».

Malheureusement, Idriss Aberkane — publié par les éditions Robert Laffont, cité dans Le Monde, interviewé par Arte, et «expert” sollicité par le CESE — n’est qu’un symptôme de la faible exigence dont font preuve trop de rédactions lorsqu’il s’agit de parler de science.

Pour ne citer qu’un exemple récent, France Culture a consacré un reportage de plus de 50 minutes à la «génodique», «discipline» qui prétend stimuler la production de protéines chez les plantes en leur diffusant des séquences de notes de musique, alors que les preuves scientifiques de son efficacité sont inexistantes. De façon générale, les rédactions ont souvent tendance à s’appuyer uniquement sur des «experts» dont l’avis ne fait l’objet d’aucune vérification journalistique. Ceci peut s’avérer très dommageable, notamment si les «experts» sont en réalité des personnalités controversées — voire clairement désavouées — dans les communautés scientifiques, ou s’ils sont interrogés sur des sujets hors de leur domaines de compétence. À cela s’ajoute l’approche catastrophiste qui caractérise de nombreux reportages sur des sujets «polémiques» tels que les OGM ou les vaccins. Ces derniers privilégient souvent le sensationnalisme à la rigueur, quitte à présenter sur un pied d’égalité des opinions, des hypothèses non prouvées, et des faits scientifiques établis.

Publier des informations «scientifiques» ou «techniques» dont il est avéré qu’elles sont fausses tient tout autant du phénomène de fake news que reprendre sans critique les propos de Donald Trump sur le nombre de personnes présentes le jour de son intronisation. Pourquoi la rigueur journalistique s’arrête-t-elle aux portes des laboratoires ? Pourquoi serait-il moins grave de publier une information scientifique fausse qu’une information politique fausse ?

C’est pourquoi, nous — chercheurs/es, journalistes scientifiques, enseignants/tes, vulgarisateurs/trices — souhaitons réaffirmer notre profond attachement au journalisme scientifique et à la vulgarisation. Nous souhaitons également rappeler que ces derniers doivent diffuser ou relayer des informations et des faits en adéquations avec l’état actuel des connaissances et avec la démarche scientifique. Ni le journalisme ni la vulgarisation scientifique ne consistent à publier des informations douteuses sans vérification ni précaution, pas plus qu’à présenter trompeusement des opinions comme des vérités démontrées. Nous rappelons aussi qu’à l’heure d’internet il n’a jamais été aussi facile de contacter de nombreux professionnels et institutions de recherche, qui sont très souvent tout à fait disposés à partager leurs expertises.

Il appartient donc à tout média sérieux de vérifier qu’il ne propage pas du baratin pseudo-scientifique, en particulier sous couvert de vulgarisation. Une information scientifique fausse est une «fake news» comme une autre.


Olivier Monod, journaliste.
Marc Robinson-Rechavi, professeur, blogueur.
Guillaume Miquelard-Garnier, maître de conférences, blogueur.
Alexandra Gros, chercheuse post-doctorante en neurosciences
Antoine Bérut, chercheur post-doctorant en physique.
Alexa Sadier, chercheuse post-doctorante en biologie de l’évolution et du développement.

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