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Je ne sais pas si le bourdonnement qui, sur les réseaux sociaux, associe dans la même phrase Facebook, désinformation et Donald Trump, s’est rendu jusqu’à vos oreilles. Reste qu’une partie de ces inquiétudes, journalistes et communicateurs scientifiques les évoquent depuis quelques années : comment repérer une source fiable? Comment distinguer le vrai du faux? Et à l’heure de Facebook, ça prend une ampleur que trop de médias ont dangereusement sous-estimée.

 

Sans aller jusqu’à dire que Facebook est responsable de l’élection de Trump, on doit reconnaître que le réseau a contribué à la diffusion d’une immense bulle de fausses nouvelles qui émanaient de groupes de droite et d’extrême-droite —ou qui faisaient le jeu de ces groupes. Comme l’a écrit BuzzFeed dans son reportage dont nous vous parlions deux semaines avant l’élection, sur Facebook, une fausse nouvelle a plus de valeur qu’une vraie nouvelle.

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BuzzFeed vient de renchérir avec une autre analyse, encore plus dévastatrice : pendant les deux mois précédant l’élection, les 20 fausses nouvelles les plus populaires ont généré plus de « partage » et de « j’aime » sur Facebook que les plus populaires des vraies nouvelles émanant de vrais médias.

Si vous n’avez pas suivi ce bourdonnement, quelques lectures pour vous rattraper

 

  • L’enquête initiale de BuzzFeed (20 octobre), réalisée en partie par Craig Silverman, dont l’Agence Science-Presse suit avec attention la carrière, dans le contexte de notre Détecteur de rumeurs.
  • Infographie du Wall Street Journal : à quel point Facebook déforme un fil de nouvelles, suivant qu’on soit pro-Trump ou pro-Clinton.
  • « Alors que le modèle d’affaires du journalisme est en crise, ces sites d’extrême-droite sont en croissance, bien qu’ils tirent des revenus de « nouvelles » qui font la promotion du racisme et minent la démocratie » -Nick Kristof, New York Times, 13 novembre.
  • Certains des rédacteurs de ces sites ne sont même pas aux États-Unis : de jeunes gens en Macédoine se sont rendu compte qu’on pouvait en tirer des revenus publicitaires, tant l’achalandage sur ces fausses nouvelles était imposant !
  • « Les réseaux sociaux récompensent l'extrémisme et atténuent les visions modérées », lit-on dans le New Scientist, 18 novembre.
  • Les médias n’ont pas entièrement échoué, contrairement à ce qu’ont laissé entendre leurs critiques. Des enquêtes journalistiques fouillées sur Trump ont été publiées en grand nombre. Le problème, écrit Politico , est que beaucoup de gens s’en fichent. « Trump a gagné non parce que la presse a failli, mais parce qu’il vendait aux électeurs quelque chose qui avait plus de valeur à leurs yeux que l’intégrité, l’honnêteté et l’humanité. »

 

Au-delà de cette actualité, il ne faut pas perdre de vue une leçon de base: désinformer, ce n’est pas juste s’asseoir devant un ordi et écrire de fausses nouvelles. C’est aussi avoir le pouvoir, politique ou financier, de diffuser ces nouvelles. Ainsi, selon le New York Times cette semaine, ce serait dès le mois de mai dernier que des gens au sein de Facebook auraient tenté de limiter la progression des fausses nouvelles dans les algorithmes. Mais l'opération se serait arrêtée, par peur d’une réaction agressive des mouvements conservateurs.

Dans tous les cas, ça n'est pas fini. Le mouvement populaire qui a fait élire Trump est là pour rester. Facebook est peut-être le symbole d’un « échec de l’information civique », mais il n’est pas le seul symbole.

Surtout que ce ne sont pas que les États-Unis qui sont concernés. À titre d'exemple, Breitbart News, le média d’extrême-droite qui a eu plus que sa part de textes haineux, racistes et misogynes, laissait entendre ces derniers mois qu’il pourrait ouvrir une filiale en France et en Allemagne. La France serait une cible « particulièrement intéressante ». Breitbart News, c’est aussi ce média dont l’ex-directeur, Steve Bannon, provoque une controverse depuis qu’il a été nommé par Trump, dimanche dernier, stratège en chef de la future Maison-Blanche. Un suprémaciste blanc chuchotant à l’oreille du futur président. Ça promet pour la qualité de l'information.

Pistes de solution

1) Embaucher plus de journalistes Alors que les reproches fusaient de toutes parts la semaine dernière, Mark Zuckerberg, grand patron de Facebook, s’est maladroitement défendu en déclarant que « identifier la vérité est compliqué ». On serait nombreux à avoir envie de lui démontrer que des journalistes auraient beaucoup plus de chances d'y arriver que son algorithme...

 

 

2) Embaucher plus de journalistes scientifiques Sans s’en rendre compte, Zuckerberg tombe d’ailleurs dans le même piège que les climatosceptiques ou les anti-vaccinations : la vérité est impossible à trouver, donc traitons mes opinions et les vôtres sur un pied d’égalité... De fait, autant le Facebookien peut s’enfermer dans une chambre d’échos pro-Trump, autant il peut s’enfermer dans une chambre d’échos anti-science.

À leur défense, climatosceptiques et anti-vaccinations ont la partie facile : dans un univers où il y a désormais un journaliste pour six relationnistes, le groupe qui dispose de suffisamment d’argent pour produire une campagne de désinformation bien léchée, part avec plusieurs longueurs d’avance. L'Histoire récente regorge d'exemples.

3) Reconnaître que Facebook est un média. Vous me direz que ça relève davantage de Zuckerberg, qui préfère se déresponsabiliser en se voyant comme un simple fournisseur d’accès. C'est aussi ce qu'ont dénoncé ces auteurs cette semaine:

 

 

Mais c’est une démarche qui relève aussi de l’usager lui-même : le jour où il choisit d’admettre que Facebook est un média comme un autre, et pas nécessairement un média fiable, il est soudain plus tenté d’aller en voir d’autres.

4) Passer moins de temps sur Facebook, et payer pour du vrai journalisme. Le journaliste Matt Shipman a été plus lapidaire : « If you hate reporters, you hate democracy. »

Bonne nouvelle : le New York Times annonçait mercredi que, depuis l’élection, il avait reçu 41 000 nouveaux abonnements!

5) Apprendre aux journalistes politiques (entre autres) que le pour et le contre ne méritent pas toujours d’être mis sur un pied d’égalité. Que toutes les opinions n’ont pas une valeur égale. Qu’une lettre d’un scientifique dans le Wall Street Journal, et une recherche d'un scientifique dans Nature, ça n’est pas la même chose.

Là-dessus, les journalistes scientifiques ont au moins 20 ans d’avance sur leurs collègues: la différence entre un fait et une opinion, l’importance d’un corpus de données, les journalistes scientifiques n'ont pas le choix que de connaître.

L’auteur Shawn Otto, dans son dernier livre War on Science, fait du dogme voulant que « toutes les opinions se valent » un des trois facteurs-clefs de la « guerre à la science » de notre époque : si l’on croit vivre dans un univers où toutes les opinions sont égales, à quoi bon débattre, critiquer et rechercher le compromis ? À l’heure où chacun peut trouver sur Internet les arguments pour s’enfermer dans « sa » vérité...

6) Former le citoyen à développer un meilleur esprit critique face à l’information. L’aider à repérer une source fiable. Ou plus largement : l’aider à se demander si ce qu’il est en train de lire est une source fiable. Ne pas relayer une nouvelle sur Facebook juste parce qu’elle dit ce qu’on veut entendre.

On a fait grand cas au début de la semaine du fait que Facebook et Google avaient cédé sur un point: les sites de fausses nouvelles n'auront plus accès à leurs publicités. Mais c'est, et de loin, insuffisant. Couper la publicité aux sites de fausses nouvelles, c'est un écran de fumée. De tels sites existaient bien avant que les algorithmes de Facebook et de Google ne leur permettent de récolter des revenus. Aider l’internaute à reconnaître une source fiable, ce serait beaucoup mieux. Et s'il y a un domaine où les journalistes scientifiques ont de l'avance, c'est bien celui-là.

Texte modifié le 20 novembre: ajout des références aux textes du New Scientist, de On The Media et de Margaret Sullivan.

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