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Pour voter un règlement ou une loi, il faut utiliser uniquement des données qui peuvent être reproduites ou qui proviennent d’une « analyse indépendante ». Un critère qui semble pouvoir faire consensus... et qui contient pourtant un piège.

C’est un des critères qu’ont employés pendant des décennies les lobbyistes de l’industrie du tabac pour bloquer toute réglementation gouvernementale sur le tabac, et c’est le même critère qu’on voit réapparaître ce mois-ci à Washington pour « encadrer » l’agence de protection de l’environnement. Les élus républicains membres du Comité de la Chambre sur la science ont déposé la semaine dernière deux projets de loi, dont celui qu’ils surnomment le « secret science bill » (littéralement : loi contre la science secrète), parce que son but serait officiellement d’obliger les agences gouvernementales à rendre publique la totalité de leurs données. Dans les faits, la loi « prétend résoudre un problème qui n’existe pas », dénonce l’Union of Concerned Scientists, et son objectif est de mettre des bâtons dans les roues aux normes de protection de l’environnement.

Les lobbyistes du tabac, de même que les relationnistes qui furent à leur service à partir des années 1950, avaient rapidement saisi l’astuce : attaquer de front les recherches démontrant un lien entre tabac et cancer était voué à l’échec, tant les données étaient solides. En revanche, utiliser le langage scientifique contre la science pouvait s’avérer payant : puisque les scientifiques décrivent leur propre travail comme étant traversé « d’incertitudes », de « doute » et de « scepticisme », il suffisait au lobby du tabac de répandre l’idée que le lien entre tabac et cancer était lui aussi chargé « d’incertitudes » et que leur unique demande était donc un sain « scepticisme » avant toute nouvelle réglementation.

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C’est la même stratégie qui se dessine contre l’agence de protection de l’environnement (EPA) : certaines des études de l’EPA sur l’impact d’un polluant sur la santé ne peuvent pas être reproduites parce qu’elles reposent sur des patients dont les données sont confidentielles ; certaines études d’impact environnemental ne pourront pas non plus être reproduites parce qu’elles reposent sur un événement unique, comme la fuite de pétrole de 2010 dans le Golfe du Mexique. Du coup, elles ne pourront pas être utilisées pour établir de nouvelles règles environnementales. Mais surtout, le « secret science bill », s’il est adopté, pourrait être utilisé rétroactivement pour annuler des normes déjà existantes.

C’est la raison pour laquelle la majorité des personnes que les élus républicains ont invitées à témoigner sont des juristes plutôt que des scientifiques. Le magazine en ligne The Intercept donnait en février l’exemple de l’avocat Jeffrey Holmstead, qui a représenté des géants du charbon dans leur lutte contre les efforts de l’EPA pour limiter la pollution au mercure. Un autre avocat, Steven Milloy, est un blogueur connu des milieux climatosceptiques, en plus d’avoir été un collaborateur du média d’extrême-droite Breitbart News, d’où émane Steve Bannon, aujourd’hui à la Maison-Blanche. Quant au républicain Lamar Smith, l’élu du Texas qui préside le Comité de la Chambre sur la science, il compte parmi ses plus gros donateurs les compagnies de gaz et de pétrole. Dans les mots de la journaliste de The Intercept :

Le petit groupe d’avocats et de stratèges des relations publiques qui orchestre « l’effort science secrète » est étroitement lié à ceux qui attaquent l’EPA de l’intérieur [du gouvernement]. Tous ont des connexions avec le tabac, ou le pétrole, ou les deux — et presque tous ont été affiliés à un petit groupe de droite appelé l’Institut légal pour l’énergie et l’environnement. Il est intéressant que ce groupe soit obsédé par la transparence, considérant les efforts qu’il met à dissimuler ses donateurs.

La journaliste rappelle que cette accointance entre pollueurs et politiciens n’est pas nouvelle, pas plus que les efforts pour obliger les agences à dévoiler des données confidentielles, mais que c’est la première fois depuis longtemps que le même parti politique détient pratiquement tous les leviers du pouvoir à Washington.

Un petit groupe d’universitaires appelé Environmental Data and Governance Initiative, qui suit à la trace, depuis l’élection de novembre, les changements apportés aux 25 000 pages web du gouvernement, signalait au début du mois que sur la page décrivant la mission du Bureau des politiques scientifiques et technologiques de l’EPA, quelqu'un avait effacé le mot... science. Plutôt que de lire que les normes environnementales de l’EPA sont « basées sur la science », on lit à présent que le Bureau développe des « normes économiquement et technologiquement atteignables » (economically and technologically achievable standards).

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