DDR-Creationnisme

40 % des Canadiens croient-ils vraiment que la Terre a été créée en 6 jours ? Un résultat à prendre avec des pincettes...


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 L’origine de la rumeur

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Parue en février dernier, une question d’un sondage CROP portant sur le créationnisme révélait un résultat pour le moins étonnant : on y lisait que 40 % des Canadiens croient que la Terre et la vie qu’elle abrite ont été créées par Dieu en six jours.

Réalisé auprès d’un échantillon de 26 502 Canadiens et Canadiennes, représentatif de l'ensemble des provinces et des différentes tranches d'âges, de salaires et de scolarité, ce sondage révèle ainsi que la région dont les résidents ont le plus répondu en faveur du créationnisme est le Manitoba-Saskatchewan avec 55 %. À l'inverse, la Colombie-Britannique enregistre le score le plus faible avec 33 %. Au Québec, le créationnisme atteindrait les 36 %, soit le même taux que l’Alberta (37 %). L'Atlantique et l'Ontario ferment la marche avec respectivement 49 % et 42 %.

Une tendance déjà observable

Il ne s'agit pas du premier sondage à se pencher sur le créationnisme au Canada même si les études sur le sujet se font plus rares que chez nos voisins du Sud, chez qui le phénomène provoque plus souvent la controverse. En 2007, un sondage Décima-La Presse canadienne rapportait que 60 % des Canadiens croyaient que Dieu avait joué un rôle direct ou indirect dans la création des êtres humains. Un score plus élevé qui pourrait s’expliquer par le fait que l’affirmation était plus large que dans le sondage CROP. La même année, un sondage mené par Angus Reid établissait à 22 % le nombre de créationnistes au Canada, un résultat qui, lui aussi, pourrait être lié à la formulation de la question : « l’humain est-il le résultat de l’évolution sur des millions d’années, ou a-t-il été créé par Dieu dans sa forme actuelle dans les 10 000 dernières années ». Trois ans plus tard, en 2010, 24 % des Canadiens se disaient créationnistes selon un autre sondage Angus Reid.

Pour Cyrille Barrette, professeur émérite de biologie à l'Université Laval, et expert notamment en théorie de l'évolution, les résultats du sondage CROP de cette année semblent crédibles, puisqu'ils confirment une tendance observable depuis quelques années déjà. « Le résultat des réponses à ce genre de questions est à peu près toujours le même : ça tourne entre 30 % et 40 %, au Canada, au Québec et dans plusieurs pays occidentaux. C'est sûr que c'est surprenant, mais ça semble correspondre à une réalité. Si on met les gens devant le choix entre la croyance à la création ou la conviction qu'il s'agit simplement d'une évolution naturelle, près du tiers d'entre eux croient qu'il s'agit d'une création », note-t-il.

S'il affiche une certaine réserve face aux résultats élevés auxquels parvient le sondage CROP, Yves Gingras, professeur à l'UQAM et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en histoire et sociologie des sciences, estime toutefois lui aussi que les tendances sont cohérentes. Il lui semble ainsi logique que les niveaux de créationnisme soient plus élevés dans des provinces davantage rurales et agricoles comme le Manitoba et la Saskatchewan, dont les habitants auront tendance à être plus croyants et moins scolarisés. « Il y a une relation directe entre les pratiques religieuses fréquentes et l'ignorance de la science... Tous les travaux sur le sujet, aussi bien américains qu'européens, ont montré que plus le niveau d'éducation générale est élevé, plus la croyance et donc le créationnisme, sont bas », affirme M. Gingras, qui aborde d'ailleurs ces questions dans son récent ouvrage L'impossible dialogue : science et religions (boréal ; 2016).

Distinguer les croyants des créationnistes

Toutefois, des nuances s'imposent, d'après Cyrille Barrette. « Il ne faut pas confondre les croyants — qui croient que l'Univers, la vie et l'Homme ont été créés par Dieu — et les créationnistes scientifiques ». En ce qui concerne les croyants, la science n'a rien à y redire… En revanche, les créationnistes scientifiques prétendent que leur conviction n'est pas une croyance, mais un fait basé sur la science », distingue M. Barrette, en soulignant que ce dernier groupe de créationnistes scientifiques correspond à une proportion très faible de la population.

« Les créationnistes scientifiques démarrent avec une conviction dogmatique, inébranlable, en l'existence d'un Créateur qui aurait tout créé. Leur démarche pseudo-scientifique consiste, ensuite, à aller dans la nature pour chercher les observations qui, selon eux, vont soutenir leurs convictions premières. Donc, il y a là une démarche qui est l'envers de la science. Ils possèdent déjà les réponses à toutes les questions au début, et c'est toujours la même réponse : Dieu a tout créé », explique M. Barrette.

La façon dont la question est posée, un problème ?

Yves Gingras estime pour sa part qu'il faut nuancer la portée à donner aux résultats du sondage CROP. Selon lui, la formulation serait trop ambigüe. « La première question du sondage " La Terre fut créée par Dieu tel qu'enseigné dans les textes religieux " est vague. Il aurait fallu plutôt demander : " Pensez-vous que la Terre fut créée par Dieu il y a 6 000 ans ", ce à quoi les gens auraient pu répondre " non " », relève M. Gingras.

« Il n'y a d'ailleurs pas de contradiction entre la première et la deuxième question du sondage, si le répondant a une lecture large des textes religieux. Ainsi, il peut considérer que Dieu a créé l'Univers, comme c'est écrit dans la Bible, et que l'Homme est le fruit d'une évolution dirigée par Dieu. Beaucoup de croyants croient ça. Or, tel que c'est formulé ici, chaque auditeur peut comprendre les mots de la première question comme il le veut. Donc c'est une question mal posée », fait valoir Yves Gingras. À ses yeux, il faut se garder de sauter aux conclusions : « quels que soient les chiffres, je ne crois pas que cela remette en cause la confiance que les citoyens ont en la science », assure-t-il.

Verdict

Si les résultats du sondage CROP rendent compte d'une tendance qui est bien réelle, ils doivent être pris avec nuance, compte tenu notamment de l'ambiguïté de l'énoncé, qui laisse largement la place à l'interprétation et aux zones grises.
 

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