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D’un pays à l’autre, la pauvreté et la discrimination ont facilité la propagation de la COVID. Un phénomène que la recherche scientifique avait pourtant validé depuis très longtemps. Une pandémie mondiale pourrait-elle être ce qu’il fallait pour faire naître une prise de conscience?

C’est qu’avec la pauvreté et la discrimination viennent moins de sécurité d’emploi —donc pas de congés de maladie— des espaces de travail moins sécuritaires, des logements plus petits et un accès plus difficile aux soins de santé: quatre facteurs-clefs, ou quatre « déterminants sociaux de la santé », rappellent tous les experts en santé publique.

Mais comme l’écrit la journaliste Amy Maxmen dans un reportage publié le 28 avril par la revue Nature, « bien que les études sur les déterminants sociaux de la santé aient pris de l’ampleur depuis des décennies, de réelles actions pour en combattre les causes sous-jacentes sont compliquées, politiquement risquées et, en conséquence, rares ».

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La journaliste a passé les derniers mois à explorer ces « déterminants sociaux », entre autres du côté des travailleurs agricoles de Californie —qui sont souvent Hispaniques, pauvres, et en situation plus ou moins légale. Lorsque la pandémie a commencé à y faire des ravages, des organismes communautaires ont été nombreux sur le terrain, pour distribuer de l’information sur les mesures sanitaires et organiser des campagnes de dépistage —en plus d’essayer de faire comprendre pourquoi de meilleures conditions de travail et de logement devenaient soudain encore plus importantes qu’avant.

« Ces types d’interventions sociales et économiques sont ce qui est réellement nécessaire pour attaquer les inégalités en santé, mais plusieurs chercheurs et décideurs sont réticents à mettre publiquement de la pression pour de telles mesures. »

En d’autres termes, disent les nombreux experts interrogés dans ce reportage, ce n’est pas uniquement un problème qui repose sur les épaules des décideurs politiques ou des autorités de la santé. Les experts médicaux doivent aussi prendre la parole, et pas uniquement sur des considérations médicales: « nous avons besoin de nous exprimer plus fort sur les choses qui ne sont pas dans notre domaine », déclare par exemple l’épidémiologiste Mary Bassett.

La pandémie pourrait au moins avoir une chose de bon: elle a donné corps à ces avertissements qui faisaient partie de la réalité observée par les experts en santé publique depuis des décennies. Voire depuis plus d’un siècle et demi, si on pense qu’en 1848, un médecin prussien, Rudolf Virchow, avait documenté dans son rapport sur l’épidémie de typhus quatre facteurs: la faim, l’analphabétisme, la pauvreté et la dépression. Quatre déterminants sociaux fondamentaux pour, avait-il écrit, comprendre la propagation de l’épidémie.

Le sociologue américain W.E.B Du Bois en avait ajouté une couche au début du 20e siècle en s’attaquant aux théories racistes de l’époque, alléguant que c’était avant tout la pauvreté qui était en cause dans les décès prématurés dans les communautés des Noirs américains. Il avait été un des premiers à établir des indicateurs montrant que les variations du taux de mortalité à travers une grande ville —Philadelphie— étaient d’abord et avant tout fonction de la qualité du logement, de l’éducation, du type d’emploi, et d’autres variables, et que ces indicateurs étaient les mêmes, peu importe la couleur de la peau des gens.

Aujourd’hui, tout le monde sait que l’espérance de vie à la naissance est moins élevée dans les pays plus pauvres. Mais plusieurs ignorent encore —ou choisissent d’ignorer— que dans leur propre pays, l’espérance de vie à la naissance peut être différente suivant le code postal où l’on est né. Dans certains cas, comme aux États-Unis, des disparités très nettes, documentées dans les années 1980, sont encore les mêmes aujourd’hui. Il n’est donc pas surprenant qu’une pandémie ait trouvé plus de facteurs favorables à sa propagation dans certains quartiers ou certains comtés. Et qu’une campagne de vaccination rencontrera plus d’obstacles dans certaines communautés que dans d’autres.

Les solutions sont elles aussi connues: une meilleure éducation, pour les jeunes et les moins jeunes, un meilleur accès aux soins de santé pour les plus vulnérables. Dans le cas des États-Unis, une assurance-maladie universelle. Mais quelques-unes des solutions feront davantage grincer des dents chez ceux qui contrôlent les cordons de la bourse: imposer de meilleures conditions de travail dans les industries les plus « à risque »; imposer de meilleures protections pour les travailleurs à statut précaire ou issus de l’immigration.

Lier pauvreté et épidémie est une chose, mais confronter le statu quo en est une autre, note l’expert en santé publique Ronald Labonté, de l’Université d’Ottawa. Or, les experts de plusieurs disciplines vont devoir confronter tôt ou tard ce statu quo, sans quoi l’histoire va se répéter.

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