Jeunes et écrans

La génération Z, celle des moins de 30 ans, est-elle en train de vivre une séparation idéologique sur la base du sexe? Des données de plusieurs pays semblent en effet montrer un écart croissant entre les jeunes femmes, qui seraient plus progressistes, et les jeunes hommes, qui seraient plus conservateurs.

En comparaison, les portraits que l’on faisait jusqu’ici des générations X (1966-1980) et Y (1981-1996) avaient plutôt tendance à les montrer homogènes, du moins quand on comparait hommes et femmes. Un tel écart chez les adolescents et les jeunes adultes, s’il se confirmait, serait donc inédit. Et il pourrait de plus avoir des conséquences sociales et politiques à long terme, sachant à quel point les idées qui se forment à cet âge peuvent s’enraciner longtemps dans les esprits.

Le journaliste du Financial Times John Burn-Murdoch, spécialisé dans l’analyse des données, s’est penché sur des sondages Gallup et des enquêtes menées dans quatre pays. Il cite également Alice Evans, professeure à l’Université Stanford, qui a fait de cette « divergence des genres » à travers l’histoire le sujet de ses recherches récentes. 

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Aux États-Unis, résume Burn-Murdoch, « les données de Gallup montrent qu’après des décennies pendant lesquelles les deux sexes étaient répartis également à travers les visions du monde libérales et conservatrices, les femmes de 18 à 30 ans sont maintenant de 30 points de pourcentage plus libérales que leurs comparses masculins. Il a suffi de six ans pour atteindre cet écart. » 

On observe un écart tout aussi prononcé en Allemagne et en Corée du sud, et presque aussi prononcé (25 points) au Royaume-Uni. D’autres exemples, moins étudiés, semblent aller dans la même direction: comme en Pologne l’an dernier, où la moitié des hommes de 18 à 21 ans ont voté pour le parti d’extrême-droite, contre seulement une femme sur six du même âge. En Chine, écrit Alice Evans, la croissance économique et le plus grand accès aux universités ont favorisé une émancipation des jeunes femmes : elles découvrent davantage d’opportunités et, « encouragées par leurs semblables et par les médias féministes, elles s’attendent à mieux et demandent davantage ».

Le mouvement #MeToo a probablement été un déclencheur commun à plusieurs pays. Il a poussé plus de femmes à prendre la parole et à réagir aux injustices. Alors qu’à l’inverse, davantage de jeunes hommes ont pu se sentir « menacés » dans leurs « privilèges » et adopter une ligne idéologique plus conservatrice. Le climat économique a pu leur fournir un prétexte, poursuit Evans: « le ressentiment est plus élevé parmi les hommes qui pensent que les institutions de l’État dans leur région sont injustes, et qui vivent dans des régions avec un taux de chômage en croissance et une compétition accrue pour l’emploi ».

Les bulles de filtres des réseaux sociaux sont probablement elles aussi un facteur important: on sait à quel point les algorithmes permettent à différents groupes de s’enfermer dans des bulles où ils ne voient plus que ce qui confirme leurs croyances —et il s'agit ici de la génération qui a grandi avec les réseaux sociaux. Le cas de l’influenceur polémiste Andrew Tate est à cet égard emblématique: en dépit de ses propos misogynes (ou grâce à eux), il est relativement populaire chez les jeunes hommes de plusieurs pays. Au Royaume-Uni, 27% des hommes de 18-29 ans en ont une opinion favorable, et 24% se disent d’accord avec ce qu’il dit sur « la façon dont les femmes devraient être traitées », contre 10% de l’ensemble des hommes. 

Si ça se confirme, il y aura d'inévitables conséquences politiques ou électorales. Concrètement, cela signifie qu’aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Allemagne, les jeunes femmes, analyse Burn-Murdoch, « adoptent à présent des positions beaucoup plus libérales que les jeunes hommes » sur l’immigration et l’égalité des chances, alors qu’on ne remarque pas de tels écarts hommes-femmes dans les autres tranches d’âge.

Trois choses pourraient renverser cette tendance, conclut Evans: une croissance économique, une meilleure régulation des algorithmes pour y voir plus clair dans les bulles de filtres, et davantage d’amitiés inter-sexes, qui atténueraient cette tendance à habiter des espaces virtuels séparés et à s’alimenter à des sources d’information polarisées.

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