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Et s'il était possible de vendre et acheter des organes comme n’importe quelle marchandise? Philippe Steiner, professeur de sociologie à la Sorbonne, a fait l'exercice d'imaginer un tel monde.

« Dans cette "fiction biomarchande", on pourrait imaginer un corps défunt vendu par un héritier. Avec les prix proposés, "un mort en bonne santé" pourrait léguer 500 000$ en bio-capital. Une bonne mort... sachant que 50% des ménages américains ont moins de 5000$ à léguer au moment du décès »!

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Tout a bien changé depuis la première greffe du cœur sur un humain, en 1967, par Christiaan Barnard, en Afrique du Sud. Aujourd'hui, des organes sont donnés et reçus tous les jours.

Mais ces échanges soulèvent une sérieuse question : pourquoi, dans nos sociétés qui favorisent la commercialisation des ressources, ne peut-on pas faire commerce d’organes? Alors que leur pénurie fauche des vies et saigne les budgets gouvernementaux, des médecins, des malades et des bioéthiciens, réclament donc la mise en marché de la ressource.

À l'UQÀM, la semaine dernière, Philippe Steiner a présenté quelques conclusions de sa recherche, menée sous l'angle de la sociologie économique. Il observe d'abord que l'échange d'organes nous a menés à redessiner plusieurs frontières, dont celle qui sépare la vie de la mort. « En 1968, un petit groupe de médecins à Harvard propose une nouvelle mort : la mort encéphalique, qui bouscule notre vision traditionnelle de la mort, celle de la rigidité cadavérique, la peau froide, le cœur arrêté. »

Le don d'organes force aussi « la frontière de la peau ». Un greffon ne peut passer d'un corps à l'autre sans les technologies médicales. Mais Philippe Steiger a surtout étudié « les technologies sociales » qui régulent la circulation des organes. Cette distribution non marchande est basée sur une justice humaine — assurée par Québec-Transplant au Québec et UNOS aux États-Unis. « Même si les logiciels utilisés pour faire ces appariements sont inspirés des logiciels boursiers, ils laissent une place importante aux décisions humaines », souligne-t-il. Malgré tout, ce transfert n'est pas complètement gratuit, car pour des exercices comptables, les hôpitaux étiquettent souvent d'un prix les greffes d'organe.

Enfin, l'ultime frontière que nous sommes peut-être sur le point de redéfinir est juridique. « Le code civil français est basé sur le droit romain binaire : il y a les personnes, les choses, et la manière dont les personnes acquièrent les choses. Quel est alors le statut d'un organe? Ceux qui sont en faveur d'un tel commerce devront, avec les juristes, déterminer les modifications juridiques nécessaires. » Pour le moment, seul l'Iran a légalisé la marchandisation des reins, et plusieurs envisagent d’importer cette loi.

En dépit des apparences, dans sa conclusion, Philippe Steiger s'est prononcé contre les "biomarchés". Bien que l'affaire ne soit pas noire ou blanche, il tient à préciser : « je ne veux pas vivre dans ce genre de monde ». Il propose plutôt une meilleure sensibilisation du public pour une augmentation des dons entre vivants, et un système médical qui se permettrait d'être un peu plus insistant auprès des familles de donneurs décédés.

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