La science de la télé-réalité
(ASP) - Depuis deux ans, la folie de ce
que daucuns appellent la "télé-réalité"
a gagné des dizaines de télés nationales.
Voilà quelle gagne aussi les scientifiques.
Le concept de télé-réalité
a eu depuis les années 60 plusieurs significations,
mais aujourdhui, on lassocie à ces
groupes de gens quon enferme dans un lieu clos
(par exemple, une maison) ou quon envoie dans
un endroit exotique (île plus ou moins déserte),
où ils sont filmés 24 heures sur 24, pour
le plus grand plaisir des téléspectateurs-voyeurs.
Ils doivent en général se soumettre à
une série dépreuves plus ou moins
humiliantes, et après un certain nombre de semaines,
le "survivant" -ou celui qui sest le
plus attiré les faveurs du public- décroche
le gros lot.
Or, les psychologues se sont aperçus
quils avaient là une véritable reproduction
de la société en miniature, donc un objet
danalyse fascinant pour leurs études des
comportements humains. Deux
psychologues britanniques de lUniversité
Cambridge ont donc décidé, non pas dexaminer
un de ces groupes de gens de la télé,
mais de créer leur propre groupe. Et ils ont
proposé à la BBC, qui a accepté,
de filmer le tout, pendant queux étudieront
leur groupe à la manière de biologistes
qui étudient une population sous le microscope.
Dans ce cas-ci, cette expérience consisterait
à transformer les 15 étudiants-participants,
les uns en prisonniers, les autres en gardiens.
Sauf qualors que lexpérience
sapprête à commencer, dautres
rappellent quelle a déjà eu lieu,
à lUniversité américaine
de Stanford en 1971, et quelle a si mal tourné
quaprès six jours (sur les 14 prévus),
il avait fallu tout interrompre : les neuf gardes
étaient devenus de plus en plus brutaux, et les
neuf prisonniers, dabord rebelles, de plus en
plus passifs. Dans les milieux de la psychologie, cette
expérience est devenue un modèle de ce
jusqu'où peut conduire la pression dun
groupe sur le comportement d'un individu. Et on na
plus osé rééditer de telles expériences,
de crainte que quelque chose ne tourne vraiment mal.
Les deux psychologues de lUniversité
Cambridge rétorquent quaujourdhui,
laspect télévisuel offrirait une
occasion unique de répondre à des questions
épineuses sur la psychologie du racisme, de loppression
et du terrorisme : si ces cobayes, alors même
quils se savent filmés et quils ont
eux-mêmes vus des émissions de télé-réalité,
se mettent malgré tout à déraper
dans leurs comportements, les images parleront plus
que de longs discours sur la nature humaine...