Les veufs souffrent-ils plus que les
veuves?
(ASP) - Les statistiques sont troublantes :
les veufs âgés courent 13 fois plus de risques
de se suicider que les veuves.
En effet, en 1997, pour 100 000 habitants,
61 veufs senlevaient la vie
contre 4,7 femmes.
Et ce n'est pas tout: depuis 15 ans, le taux de suicide
chez les veufs a presque doublé, passant de 33
à 61 pour 100 000 habitants, alors quil est
resté à peu près le même chez
les veuves. Ainsi que, incidemment, chez les hommes mariés.
Pourquoi cette différence? Isabelle
Morin, de lUniversité Laval, sest penchée
sur la question. Après avoir analysé les
témoignages de proches de sept veufs qui se sont
suicidés, elle a dégagé une caractéristique
commune : les problèmes de chacun empiraient
après le décès de la conjointe. "La
présence de la femme joue un rôle de régulation
à l'égard de son mari, en modérant
ses excès." Par exemple, après le décès
de leur conjointe, ceux qui ont une tendance à
lalcoolisme boivent davantage; de même, les
joueurs compulsifs jouent de façon démesurée.
"Laggravation de ces problèmes finit
par les conduire au suicide", affirme Isabelle Morin.
Il y a également une autre raison
possible. La femme permettrait lintégration
sociale de son mari, cest-à-dire quelle
agirait comme lien entre lui et le reste de sa famille.
Lorsque ce lien disparaît, lhomme sisole
du reste du monde -un isolement qui peut mener jusqu'au
suicide.
Les femmes, de leur côté, semblent
avoir moins besoin de cette intégration sociale,
ainsi que de quelqu'un pour "réguler leurs excès",
et cest pourquoi leur taux de suicide serait moins
élevé, pense Isabelle Morin.
Mais cela laisse une question en suspens:
pourquoi le taux de suicide des veufs a-t-il connu une
si grande augmentation en 15 ans, alors que celui des
personnes âgées na à peu près
pas varié? La chercheure croit que la réponse
pourrait se trouver du côté de l'institution
du mariage elle-même: ou plus précisément,
dans laffaiblissement de cette institution dans
notre société. "Il y a 15 ans, le mariage
imposait des règles qui étaient suivies
par tous et qui pouvaient compenser labsence de
la femme lors du décès de celle-ci. De cette
façon, la régulation des excès et
lintégration sociale étaient tout
de même maintenues. Mais aujourdhui, ces règles
sont beaucoup moins fortes; il n'y a plus de cette forme
d'encadrement."
"Bien que deux facteurs soient mis
en évidence par cette recherche, il est très
difficile de dire quil sagit des deux facteurs
les plus importants, car le suicide est une chose très
complexe", conclut Isabelle Morin. Et bien que certaines
statistiques soient à la hausse, le Canada nen
reste pas moins lun des pays où le taux de
suicide gériatrique demeure le plus faible.
Cathie Pearson