L'homme qui comptait
les arbres
(Agence Science-Presse) - Miroslav Grandtner
avait un rêve : faire l'inventaire de toutes les
espèces d'arbres de la planète. Avec la
parution du premier volume du Elsevier's Dictionary
of Trees, il réalise la première frondaison
de son projet.
"C'est un projet très stimulant qui
me donne beaucoup d'énergie. J'apprends tous les
jours une foule de choses. Il ne faut pas perdre courage
si je veux voir écrite, de mon vivant, la dernière
page du dernier volume, celui sur l'Océanie", s'exclame
M. Grandtner, professeur émérite au Département
des sciences du bois et de la forêt de l'Université
Laval.
C'est en 1989 que le projet prend racine. Alors
qu'il revient d'un voyage d'étude, le chercheur
se questionne sur l'absence d'un inventaire des arbres
de la planète. Il décide donc de s'atteler
à ce gigantesque programme privilégiant
une vision continentale plutôt que locale. Plongeant
dans plus de 300 références bibliographiques,
il dénombre au cours des années près
de 50 000 taxons (genre, espèce, variété)
à travers le monde. Afin de mener à
bien cette uvre colossale, Miroslav Grandtner
s'est adjoint toutefois l'aide de près de 125
personnes (chercheurs, étudiants, rédacteurs,
etc.) à travers les différents continents. |
A
consulter:
La
page du Elsevier's
Dictionary of Trees. Volume 1: North America
|
Publiée fin 2005, la souche nord-américaine,
premier volume du Dictionnaire mondial des arbres,
comprend 1529 pages recensant 8778 taxons, tous indigènes.
Qu'elles proviennent de la famille des érables
(acéracées), des bouleaux (bétulacées)
ou des ormes (ulmacées), les espèces de
cet ouvrage ont en commun de pousser entre l'aride nord
canadien et les luxuriantes Caraïbes.
Ce premier volume présente les espèces,
classées par ordre alphabétique latin "la
langue officielle, universelle et accessible de la botanique"
avec leur distribution, leur hauteur, le type de feuillage,
l'écologie, arbre de lumière (appartenant
à la canopée) ou d'ombre, des informations
sur les usages par l'homme et les animaux (bois, résine,
tanin, fourrage, etc.), sur son apport à l'environnement
et des données culturelles. "Le bouleau jaune aurait
fait un bien meilleur emblème national pour le
Canada", tranche par exemple le professeur. Incidemment,
la feuille d'érable dessinée sur le drapeau
est celle de l'érable argenté -la plaine-
alors qu'il était convenu de prendre celle de l'érable
à sucre !
L'ouvrage ne s'attarde ni aux maladies,
germinations et autres sylvicultures et ne présente
aucune illustration. "Cela aurait doublé notre
travail déjà bien vaste".
En revanche, il possède un index
de plus de 500 pages recensant les noms en latin, en anglais,
français, espagnol, etc. Les noms se conjuguent
également en langues autochtones (algonquin, montagnais
et bien d'autres). "Ce sont des langues sous-estimées.
Nous avons décidé de les hisser sur le même
palier que les langues mondiales et de les montrer au
monde."
Reste que du côté de la diversité,
les arbres du Nord ne font pas le poids avec seulement
1% pour l'ensemble du Nord-Est du territoire. Le genévrier
commun et une espèce de bouleau s'élancent
seuls sur les terres désolées du Groenland
alors que le Yucatan affiche la moitié des plantes
recensées. La richesse du sud s'avère écrasante.
"Nous possédons encore 40 000 autres
fiches en attente de traitement. Sur la planète,
le nombre d'espèces d'arbres s'évalue à
près de 60 000." Le second volume devrait voir
le jour l'automne prochain. Et ce, malgré un obstacle
de taille, la diminution du financement. Baisse des programmes
gouvernementaux, retrait du soutien des compagnies forestières,
les fonds s'amoindrissent tant au Québec qu'au
Honduras, l'un des bailleurs de fonds du projet.
Le dictionnaire des arbres possède
aussi un petit frère sur Internet. Cette version,
vieille de dix ans, s'avère plutôt négligée
aujourd'hui. "Le site web est petit à petit délaissé.
Avec ses multiples copies et ses continuelles mises à
jour, le site manquait de permanence. De plus, nous nous
faisons concurrence à nous-mêmes", sanctionne
le professeur. Face à l'instabilité de l'Internet,
Miroslav Grandtner préfère, et de loin,
l'uvre publiée, scientifique et permanente.
Un ouvrage, lourd comme une souche, et dont le papier
provient du bois des arbres qu'il connaît si bien.
Isabelle Burgun