L'herbe qui se fume
(ASP) - Mâché, inhalé,
infusé ou encore prisé, le tabac était
omniprésent dans les rituels autochtones. Ce que
l'on sait moins, c'est qu'il se consommait également
au quotidien et que certaines personnes avaient bien du
mal à s'en passer.
"Les Amérindiens reconnaissaient
des vertus au tabac : son goût, son odeur, sa capacité
d'apaiser les passions, etc. C'est pourquoi certains l'aimaient
tellement qu'ils développaient une dépendance",
confie Sylvie Savoie. Cette ethno-historienne a présenté
récemment ses travaux sur "Le tabac dans les sociétés
autochtones du Nord-Est aux 17e et
18e siècles", lors d'un colloque
sur la Transformation historique des systèmes religieux
amérindiens à l'Université de Sherbrooke.
Les usages rituels du tabac forment un pan
plus connu : offrande aux dieux et à la nature,
communication avec les esprits, etc. Ainsi, lors d'un
parcours dans une rivière particulièrement
difficile, il n'était pas rare que les Amérindiens
lui offrent du tabac afin de passer les torrents sans
danger. "De nombreuses coutumes se sont perdues car les
missionnaires désiraient que les Indiens délaissent
ces rites qu'ils considéraient comme païens",
note Sylvie Savoie. Mais certains rites ont survécu
à cette censure chrétienne.
Or, l'ethnologue, elle-même ancienne
fumeuse et passionnée de spiritualité autochtone,
relève que déjà, lors de la période
pré-européenne, l'usage du tabac dépasse
les rituels. Il entre dans la consommation quotidienne.
"Et lorsque les Autochtones manquent de tabac, il n'est
pas rare qu'ils consomment de l'écorce râpée".
Ces derniers fument alors une plante connue sous le nom
de Nicotania rustica, qui pousse principalement
au nord et au sud-ouest de l'Ontario. Lorsque les Européens
poseront le pied sur le sol américain, ils apporteront
avec eux une nouvelle variété, Nicotania
tabacum, consommée encore aujourd'hui.
L'usage du tabac remonte à près
de 8000 ans. Les communautés des Grands Lacs le
cultivent et s'en servent dans le troc avec d'autres peuples,
les Algonquins par exemple. Mais avec l'arrivée
des Européens, grands cultivateurs et importateurs,
la consommation se généralise. Lors des
rencontres diplomatiques, les Français apportent
du tabac et découvrent le rituel du calumet ou
plutôt de la pipe, dans l'est du Canada destiné
à "éclaircir l'esprit et à faire
la paix". Un symbole qui restera fortement associé,
dans la culture populaire, aux Amérindiens.
Sylvie Savoie a dirigé récemment
un numéro de la revue Recherches amérindiennes
au Québec consacré
aux Abénaquis. Elle participe également
à l'élaboration du contenu d'un site internet
pédagogique consacré aux sociétés
algonquiennes et iroquoiennes, en collaboration avec Diane
Boily, pédagogue à l'université du
Québec à Trois-Rivières. Le site
doit être lancé à la fin-mars.