L'apesanteur qui paralyse
(ASP) - Les astronautes qui effectuent de
longs séjours dans lespace sont si faibles
à leur retour sur Terre quils sont généralement
incapables de se lever de leur siège. Les exercices
qui doivent leur permettre de conserver leur tonus musculaire
ne fonctionnent pas aussi bien quon le croyait.
Mais il n'y a pas que cela en cause. Une expérience
canadienne actuellement en cours à bord de la station
spatiale internationale serait en train de démontrer
que le problème se situe aussi du côté
de la moelle épinière, dont lapesanteur
perturbe le fonctionnement.
Lexpérience, nommée
H-Reflex, a été conçue par Douglas
Watt, un chercheur en neurophysiologie de lUniversité
McGill, actif en médecine spatiale depuis 1976.
Elle consiste à donner de petit chocs électriques,
à laide dune électrode posée
derrière le genou des astronautes, puis à
mesurer la réponse des muscles, à laide
dune autre électrode. Cest léquivalent,
mais en plus précis, du réflexe de Hoffman:
ce que vérifie votre médecin lorsquil
vous donne un petit coup de marteau sous le genou
Que mesure-t-on au juste? Les muscles du
genou perçoivent le choc électrique et relaient
linformation à travers la moelle épinière.
Celle-ci, en retour, ordonne aux muscles de se contracter.
Plus la moelle épinière est sensible, plus
il y a de fibres musculaires activées et plus le
réflexe de Hoffman est fort. Lexpérience
consiste donc à suivre lévolution
du réflexe chez les astronautes à diverses
reprises : avant leur départ, après
leur première journée dans lespace,
après six jours, douze jours avant leur retour,
à latterrissage et enfin, quelques jours
après leur retour.
Les premiers résultats sont spectaculaires.
"Après six jours dans lespace, la moelle
épinière a déjà perdu de 60
à 70% de sa sensibilité, rapporte Douglas
Watt. Le genou ne sursaute pour ainsi dire pas. Cela signifie
aussi que lorsquon fait de lexercice, la majeure
partie des fibres musculaires ne sont pas activées.
Lentraînement semble intensif, mais en fait,
le muscle nest que peu sollicité et lexercice
nest donc pas efficace."
Lexpérience doit se poursuivre
environ un an, jusquà la fin de la mission
de léquipage actuel, puis sur les deux équipages
suivants.
Pourtant, l'apesanteur naffecte pas
vraiment la moelle épinière. En réalité,
le mal trouve son origine dans loreille interne,
responsable du sens de léquilibre. En temps
normal, elle envoie constamment à la moelle épinière
des signaux nous aidant à corriger notre posture
pour rester debout. Mais en apesanteur, loreille
interne est désorientée. Il se produit alors
deux choses: dabord, elle envoie moins de signaux
à la moelle épinière, qui devient
en quelque sorte paresseuse et moins sensible. Ensuite,
la nature même de ces signaux change, ce qui
provoque de la confusion dans la moelle épinière.
"Le lien entre le fonctionnement de
loreille interne et celui de la moelle épinière
est connu depuis un siècle, admet le chercheur.
On la observé chez des malades et sur les
animaux. Mais les raisons derrière ce phénomène
ne sont toujours pas connues. Lespace est un laboratoire
irremplaçable, puisquil nous permet de choisir
des sujets sains, de ne changer quune seule variable,
lapesanteur, de suivre lévolution du
problème dans le temps et de vérifier à
quel rythme seffectue le retour à la normale."