Niocan: une bataille d'experts
(ASP) - Radioactivité, effets dévastateurs
sur la qualité de l'eau: le sort de la mine Niocan,
à Oka, repose entre les mains dexperts en
sciences.
Depuis le 11 décembre, les audiences
du Tribunal administratif du Québec, chargé
dentendre la contestation du dézonage de
9,4 hectares de terrain agricole à Oka, pour le
développement d'une mine, ont été
dominées par la volonté des opposants de
démontrer que les études environnementales
réalisées par la firme Roche et soumises
par la compagnie Niocan, ont négligé des
aspects essentiels.
Cette contestation a fini par avoir un impact,
puisque le ministre de l'Environnement et de l'Eau, André
Boisclair, a ordonné le 8 avril la tenue d'une
enquête sur les effets potentiels de la radioactivité
dans la région et plus particulièrement
sur les nappes deau souterraine et les eaux de surface.
Le ministre a confié ce mandat au Bureau d'audiences
publiques sur l'environnement (BAPE) qui devra rendre
un rapport le 30 août.
Une analyse fouillée de l'étude
d'impact environnementale des promoteurs de la mine Niocan,
avait dès le départ soulevé une vive
inquiétude. L'auteur de cette analyse, le Dr Gordon
Edwards, président de la Coalition canadienne pour
une responsabilité face au nucléaire, y
affirmait que l'étude d'impact était bourrée
de lacunes, notamment dans lanalyse des questions
reliées à la radioactivité.
La contestation du dézonage de ce
terrain du rang Sainte-Sophie est menée par la
Fédération de l'UPA Laurentides-Outaouais
et le Conseil de bande de Kanesatake. Ces deux groupes
comptent également sur lopposition dun
groupe de résidants dOka, connu sous lappellation
du Comité de citoyens dOka.
Ceux qui ont assisté à ces
audiences ont eu droit à des cours accélérés
en science. Ainsi, la séance du 7 février,
qui devait être consacrée au contre-interrogatoire
du Dr Edwards, sest plutôt transformée
en une présentation détaillée des
risques de la radioactivité et des dernières
technologies pour en évaluer le rayonnement. Selon
lui, le site choisi par Niocan contiendrait une concentration
de radioactivité trois fois plus élevée
que celle de l'ancienne mine Saint-Laurence Columbium
et mériterait donc une analyse plus poussée.
Or, l'étude environnementale n'aborde que superficiellement
la question: elle ne mentionnerait que six métaux
dérivés du radium alors qu'il en existe
36, dont du polonium, un métal extrêmement
dangereux et persistant dans l'environnement.
"Il n'y a pas d'analyse des problèmes
reliées à la radioactivité. Je crois
que c'est par manque d'expertise plus que par volonté
de cacher des informations. D'autres erreurs de présentation
de métaux dans l'étude démontrent
que les experts ne sont pas familiers avec cette question
du radium et de ses dérivés. Mais ce sont
des données absolument indispensables pour obtenir
une vue complète des risques environnementaux",
a soutenu M.Edwards.
Impacts sur l'eau
Les contestataires se sont également
penchés sur la qualité de l'eau. L'exploitation
de la mine affecterait la nappe d'eau souterraine dans
un rayon de trois kilomètres selon trois experts
consultés par le Conseil de bande de Kanesatake.
L'étude environnementale des promoteurs, elle,
parle plutôt d'un impact dans un rayon de 1,5 km.
Si les experts ont raison, ce sont 155 propriétés
d'Oka et de Saint-Joseph-du-Lac (455 hectares en vergers
et 236 hectares de production maraîchère
et fruitière) qui risqueraient de connaître
des problèmes d'approvisionnement en eau à
court et moyen terme.
Les géologues Paul Boissonneault
et Jean Demers ainsi que lagronome Daniel Labbé,
s'inquiètent également de la concentration
supérieure de certains métaux, en rapport
avec les normes établies pour l'alimentation du
bétail, pour l'irrigation des sols et pour l'eau
potable. Ces métaux sont l'uranium, le nickel,
le plomb, le radon et le manganèse retrouvés
dans deux des quatre puits d'observation situés
en bordure est de la mine projetée. " À
la lumière de ces résultats, il est permis
de conclure que la qualité de l'eau est impropre
pour un usage agro-industriel en raison de la présence
excessive d'uranium et de nickel", soutiennent-ils.
Piqué au vif et inquiet de limpact
négatif de la publication darticles sur la
question au début janvier 2002, le promoteur du
projet Niocan, Richard Faucher, accuse ses opposants de
désinformation. " Les trous que nous
creuserons pour extraire le minerai seront à nouveau
remplis par les résidus mélangés
à du ciment. Luranium qui serait ainsi remonté
à la surface retournera dans le sol. Il ny
a pas de risques. Une fois ces trous remplis, cest
évident que limpact sur leau sera moins
étendu ".
M. Faucher ajoute que les experts embauchés
par le Conseil de bande de Kanesatake soutiennent le contraire
uniquement pour satisfaire aux attentes de leur client.
" Leur seul objectif est dinclure les
terres autochtones dans le périmètre affecté."
Selon lui, les inquiétudes soulevées
par le Dr Edwards ne tiennent pas non plus la route. " Le
Dr Edwards est un mathématicien qui ne connaît
rien à la minéralogie. Même si nous
brisons le roc qui contient de luranium, ce dernier
restera pris dans les grains de pyrochlore et il ne va
pas être dégagé."
L'insistance de Me Louis Sylvestre, avocat
du Conseil de bande mohawk, à déposer un
à un des documents appuyant les détails
sur la radioactivité présentés par
le Dr Edwards, avait irrité les procureurs de Niocan
et du gouvernement du Québec. Un chassé-croisé
daccusations de magouillage, dinéquité
et de copinage politique sen est suivi. Me Louis
Cormier, le président du Tribunal administratif,
a alors exigé le dépôt de tous les
documents du Dr Edwards et a imposé le report de
son contre-interrogatoire. Cette stratégie de Me
Sylvestre a forcé le Tribunal administratif à
ajouter 18 jours supplémentaires aux audiences,
et par conséquent, à les prolonger jusquà
la fin juin.
Mais la décision du ministre de l'Environnement
de confier une enquête au BAPE -décision
bien accueillie par les opposants à Niocan- complique
encore les choses. Pour le Conseil de bande de Kanesatake,
il n'est plus utile de poursuivre les travaux du Tribunal
administratif, tant que le BAPE n'aura pas déposé
son rapport, le 30 août, tandis que Niocan tient
mordicus à la poursuite des audiences. " Nos
opposants ont eu tout le temps de colporter des erreurs
et Niocan ne pourrait pas répliquer. Voyons donc,
ça na pas de sens ", a mentionné
avec ardeur Richard Faucher, de Niocan. Pour l'instant,
les audiences du Tribunal administratif se poursuivent.
Denise Proulx