Intersexe chez les poissons
(ASP) - Féminisation des mâles,
bouts d'ovaires dans les testicules et autres malformations...
Ces mutations constatées chez les menés
à queue noire du Saint-Laurent proviennent de fortes
concentrations de substances oestrogènes dans l'eau
du fleuve.
Le problème affecte jusqu'à
un tiers des poissons, souligne même Daniel Cyr,
de l'Institut Armand-Frappier, qui vient de signer, avec
d'autres, un article dans la revue Toxicological Sciences.
Cela fait dix ans que Daniel Cyr s'intéresse
à l'impact des déversements contaminés
sur la faune du Saint-Laurent. Il s'était auparavant
attaché à la plie canadienne, un poisson
plat qui vit dans les sédiments. "Les produits
chimiques s'allient aux molécules organiques, c'est
pour cette raison que l'on observe une forte concentration
dans les sédiments. Ils présentent une structure
pouvant bloquer ou agir comme un oestrogène,
avec de fortes répercussions sur les organes reproductifs."
On parle de composés plastiques, de polluants (DDT,
organochlorés, etc.) et même de pilules contraceptives.
Diverses études menées à
Londres, en Floride et même au Canada, poussent
alors des scientifiques de l'Institut Armand-Frappier
à entreprendre un programme de recherche sur la
libération d'oestrogènes dans le fleuve.
Après avoir sondé les eaux de huit sites,
de la rivière des Outaouais à Contrecoeur
en passant par les abords de Montréal, il appert
que les nombreux contaminants déversés dans
le fleuve ont effectivement des effets dramatiques.
"Cela attaque directement le système
de reproduction des mâles. La production de spermatozoïdes
et leur mobilité va diminuer", annonce Daniel Cyr.
Lorsqu'on sait que sa durée de vie est de 30 secondes,
la mobilité d'un spermatozoïde est primordiale...
Autre constatation: le taux de vitellogénine,
une protéine produite dans le foie des poissons
femelles, s'avère très élevé...
chez les mâles. Le gène est présent
chez les deux sexes, mais ne s'exprime qu'en présence
d'oestrogène ou d'un produit qui remplit
cette fonction.
Des risques de bio-accumulation
Une étude de la FAPAQ constate aussi
une chute de la population de menés dans le fleuve.
Plus sensibles aux produits contaminés, ces poissons
sont un maillon important de la chaîne alimentaire.
Ils font également l'objet de pêche sportive.
"Certaines personnes en mangent jusqu'à trois fois
par semaine, ce qui représente 18 kg par année.
Comment savoir si cela n'est pas dommageable à
la santé reproductive de ces consommateurs ?" s'inquiète
le toxicologue.
Son équipe a nourri des rats femelles
des mères pendant la lactation afin
de voir si cette alimentation affecterait le système
reproductif des petits. Sur les jeunes rats, il y a peu
de conséquences. Mais les problèmes surviennent
à l'âge adulte. "Exposés aux oestrogènes,
ils développent les mêmes problèmes
que les poissons. La spermatogenèse est affectée",
explique Daniel Cyr. Pour appréhender l'étendue
du problème, le chercheur a mis en place deux programmes
d'études. L'un se penche sur la baisse de diversité
du chevalier cuivré, espèce menacée
qui n'existe qu'au Québec.
Malheureusement, le chercheur apprenait
la semaine dernière la disparition de son principal
programme de financement, celui du Réseau de recherche
des centres de toxicologie d'Environnement Canada. "Notre
budget est déjà tout petit, 36 000$ par
année, mais c'était notre seule source de
financement depuis le retrait d'un autre programme fédéral,
il y a deux ans (Initiative canadienne des substances
toxiques). L'industrie finance peu ce domaine de recherche
et si le gouvernement se retire, c'est une façon
de délaisser cette problématique environnementale".
À compter d'avril, les répercussions seront
directes : les associés de recherche passent de
5 à 4 jours par semaine, le nombre de programmes
et d'étudiants diminue.