Le rôle des intellectuels: prendre
position
(ASP) - Lintellectuel fait parfois
le saut en politique, mais cette décision ne résulte
pas toujours dun choix volontaire. Et une fois dans
le bateau, un intellectuel peut-il vraiment faire entendre
ses idées? Des intellectuels ayant frayé
avec divers milieux politiques, de Jérusalem jusqu'à
la Maison Blanche, sexprimaient samedi dans le cadre
du congrès de la Fédération canadienne
des sciences sociales et humaines, lors d'un colloque
intitulé Le rôle des intellectuels dans
le monde.
Deux des conférenciers, William Galston,
conseiller du président Clinton à la Maison
Blanche et Claude Ryan, ayant uvré plusieurs
années au sein du Parti Libéral du Québec,
ont par exemple affirmé sêtre fait
pratiquement "traîner" en politique. Michel
Seymour quant à lui, professeur de philosophie
à lUniversité de Montréal,
a travaillé de près avec le Bloc Québécois.
Bien quil considère son expérience
plutôt positive, il souligne que "les véritables
défis des intellectuels ne sont pas au sein dun
parti politique. Par contre, si lintellectuel choisit
dadopter ouvertement une tendance, on croit quil
prépare un saut en politique. Certains considèrent
même ses travaux universitaires comme "contaminés"
par ses idées politiques alors que dautres
craignent quil ne se serve de ses cours pour faire
passer un message politique".
Thomas Flanagan, aujourdhui chroniqueur
au National Post, a de son côté travaillé
comme directeur de la recherche auprès de Preston
Manning au début des années 1990. "Jai
trouvé que passer ma vie à lemploi
dun parti politique était très éloigné
de mes attentes. La vérité nest pas
la valeur la plus importante en politique et cela me dérangeait.
Je nétais pas payé pour dire la vérité
aux médias, mais pour leur transmettre les lignes
directrices du parti."
Comme M. Flanagan, William Galston a dû,
lors de son séjour à la Maison-Blanche,
défendre des positions auxquelles il nadhérait
pas. "Lors de la campagne dAl Gore, jai
dû défendre la politique éducationnelle
du parti alors que je ne lapprouvais pas. Je considérais
par contre que le bien-être des Américains
serait mieux servi ainsi qu'avec les politiques de George
W. Bush. Cest ce qui ma poussé à
agir malgré mes convictions personnelles."
Faire le grand saut ?
Claude Ryan pose quelques conditions aux
intellectuels en politique: "il faut qu'il accepte
de sengager clairement. Ensuite, il doit accepter
de travailler avec le parti, selon ses directives.
Lintellectuel qui se lance en politique doit aussi
user dun certain niveau de langage, simple et accessible
au citoyen ordinaire. " Thomas Flanagan est
daccord sur ce point : "ce nest
pas parce quon exprime quelque chose en des termes
plus simples que cela en diminue la pertinence".
Ruth Gavison, de lUniversité
hébraïque de Jérusalem, préfère
ne pas sauter : "pour exercer un rôle
sans sengager directement en politique, on peut
agir à titre de citoyen qui exprime son opinion,
mais ainsi, on demeure parfois trop neutre. Mieux vaut
prendre position en tant quintellectuel. Alors,
la beauté de la protestation augmente avec le degré
datrocité de laction posée. Je
ne crois pas quen tant quintellectuelle, je
détienne un avantage moral. Cest peut-être
même un désavantage, puisquayant été
élevée dans le confort, je ne sais pas ce
que cest de vivre dans des conditions difficiles.
Pour bien faire le travail, nous devrions aller voir les
gens, pour mieux les connaître."