Détecter l'invisible pour
voir le visible
(ASP) - Les astrophysiciens ne connaissent
quune infime partie de lunivers : la
matière visible n'en constitue en effet que 4%!
Détecter linvisible est donc la lourde
tâche de ces inspecteurs de lunivers.
Et il ne sagit pas du simple plaisir
d'une chasse aux fantômes : la course à
la matière non-visible aussi appelée
matière sombre ou noire- est indispensable à
la compréhension du cosmos et de son avenir. Par
exemple, du fait qu'on ne sait pas grand-chose des particules
et des objets composant cette matière sombre, les
calculs sur le mouvement des galaxies sont considérablement
faussés: quelle force exerce cette matière?
Quelles sont les interactions avec la matière visible
environnante?
Différents candidats sont en lice
pour figurer dans la composition de la matière
noire : la matière baryonique dune part
(des petites étoiles appelées naines brunes
et des planètes massives), les neutrinos dautre
part, et enfin les particules dites exotiques, comme les
neutralinos. La présence des naines brunes et des
planètes massives est négligeable dans lunivers.
Les neutrinos occupent quant à eux une bonne place,
mais " la petitesse de leur masse ne peut expliquer
lénorme part du gâteau que représente
la matière sombre ", explique Claude
Leroy, directeur du laboratoire de physique des particules
de lUniversité de Montréal. En revanche,
" le neutralino avec sa masse considérable,
le peut ".
Du moins, sur papier. Car cette particule
na pour linstant quune existence théorique :
" la théorie de la supersymétrie
fixe les caractéristiques physiques du neutralino,
dont cette énorme masse qui fait de lui un excellent
candidat à la matière sombre ",
explique M Leroy.
Comment les capturer?
Comment faire sortir les neutralinos des
manuels de physiques et officialiser leur existence ?
En les détectant une bonne fois pour toutes! Voilà
plus de huit ans que Claude Leroy, Louis Lessard et Viktor
Zacek travaillent sur un piège à neutralinos,
dans le cadre du Projet didentification des candidats
super symétriques de la matière sombre (PICASSO).
Le piège est constitué dun gel dans
lequel des gouttelettes de fréon surchauffées
sont maintenues en suspension (le fréon est un
fluide contenant du fluor). On dit quun liquide
est surchauffé lorsquil est porté
à une température supérieure à
son point débullition, mais quil ne
bout pas. Dans cet état dit " métastable ",
la moindre perturbation suffit à le faire devenir
gazeux un peu comme l'eau qui s'évapore.
En rencontrant le noyau de fluor, le neutralino provoque
ainsi la transformation de la gouttelette de fréon
en bulle de gaz. C'est cette transformation qui est détectée
par des micros ultrasensibles. Et voilà que la
présence des particules fantômes est révélée
sur les ordinateurs !
Linvention des trois chercheurs nen
est encore quau stade du prototype : " le
volume des détecteurs actuels permet seulement
de donner des indices sur les probabilités dinteraction
des neutralinos avec les noyaux ou les protons ",
précise le Pr Leroy. " Pour découvrir
le neutralino, il nous faudra construire un détecteur
ayant un plus grand volume ". Le projet Picasso
prévoit donc la fabrication de tels détecteurs
de grand volume, qui seraient installés dici
trois ans, à deux km sous terre, dans la mine de
lObservatoire des neutrinos de Sudbury. " Les
responsables de lobservatoire ont accepté
notre requête relativement facilement "
souligne le Pr Leroy. " En plus, notre projet
a permis lobtention dune subvention pour lagrandissement
de leurs locaux, ce qui permettra de procéder à
une nouvelle génération dexpériences
dont Picasso fera partie ".
Les résultats de ce vaste projet
devraient donc lever un voile sur la connaissance de lunivers
Un voile seulement, car la matière noire ne constitue
que 24% de lunivers, le reste étant formé
dénergie sombre dont les experts ne connaissent
encore rien. Les inspecteurs de lunivers nen
ont donc pas fini avec leur chasse aux fantômes
!
Mélina Darcam