Physicienne épanouie
mais oiseau rare
(Agence Science-Presse) - Si les femmes
continuent d'investir avec succès les bancs des
universités, le bilan n'est guère réjouissant
du côté de la physique: entre 1999 et 2003,
le nombre de nouvelles étudiantes québécoises
au baccalauréat en physique a chuté de 23%
à 16% soit... 20 personnes.
Peu réjouissante en cette Année
mondiale de la physique, cette décroissance
féminine témoigne de plusieurs facteurs:
préjugés envers la physique, manque de modèles,
horloge biologique, responsabilités familiales,
milieu exigeant et hermétique... Et qu'en est-il
de laptitude des femmes en maths et en physique?
L'hypothèse demeure hautement controversée,
et quand bien même serait-elle vérifiée,
qu'elle serait submergée par les autres facteurs.
" Socialement, il y a des
freins. " Claire Deschênes, titulaire
de la Chaire CRSNG/Alcan pour les femmes en sciences
et génie au Québec, nen démord
pas : " linfluence sociale est
trop importante pour juger de linfluence de
la génétique ou de la biologie. "
Si les jeunes femmes manquent de modèles féminins
en physique, elles sont aussi moins encouragées
et soutenues vers ce choix de carrière que
les garçons. |
Sur
le métier de physicien, on trouvera une
liste d'articles sur notre page de l'Année
de la physique.
Voir
entre autres:
Qui
sera l'Einstein du 21e siècle?
(10.01.2005)
|
La compétition des sciences de la
santé nest pas à négliger :
depuis huit ans qu'elle étudie la faible représentation
féminine en science et génie, 817 femmes
de plus se sont inscrites dans les domaines liés
à la santé alors que les sciences et le
génie pâtissaient de 312 inscriptions en
moins. Mme Deschênes affirme donc que " la
baisse des inscriptions en physique nest pas la
faute au génie ou à la physique, cest
plutôt un engouement pour la santé "
qui a drainé les jeunes femmes.
Lawrence Summers, président de lUniversité
Harvard, a jeté un pavé dans la mare en
déclarant, en janvier, que ce sont les différences
innées des femmes qui les empêchent dexceller
en science. Claire Deschênes, elle-même chercheure
en génie mécanique à lUniversité
Laval, sinsurge : " Quand on pourra
affirmer que les femmes ont autant de chances, de reconnaissance,
de facilité et dencouragement que les hommes
à poursuivre en sciences pures et en génie,
alors à ce moment, ça ne me dérangera
pas si léquilibre naturel atteint 30% de
femmes. "
Les nombreux visages de la discrimination
De nombreuses études démontrent
quelles subissent plusieurs formes de discriminations
peut-être inconscientes. Le même article
de recherche obtient une meilleure note lors de sa révision
par les pairs lorsque lauteur est masculin. La distribution
des subventions de recherche favoriserait les hommes.
" Le plafond de verre existe encore. "
assure Claire Deschênes. Pourtant, cela semble bien
se passer dans les classes. " Le respect sinstalle
avec le succès ", témoigne Gwendoline
Simon qui a terminé en 1997 un doctorat en physique
théorique. Elle ne tarit pas de superlatifs pour
décrire le bonheur vécu lors de ses études.
Arrivée en 3e année du baccalauréat
à lUniversité Laval après deux
ans à Sherbrooke, seule parmi 35 garçons:
ceux-ci " trouvaient ça cool et étaient
vraiment contents quil y ait une fille avec eux. "
Même histoire pour Dominique Langevin,
chercheure à Paris en physique. Elle a reçu
en mars le prix UNESCO-LOréal pour les femmes
et la science décerné à cinq
femmes des cinq continents pour ses études
sur les détergents, les émulsions et les
mousses. Son parcours sest déroulé
sans discrimination : " étudiante,
jai toujours été bien considérée.
Mais limportant est de bien choisir le laboratoire
et un directeur ouvert aux femmes. "
Pour Mme Langevin, la faible représentation
des femmes en physique est surtout due au manque dinformation.
Les préjugés sont tenaces: " plusieurs
pensent que les physiciennes ne sont pas épanouies! "
Et les bébés?
" Pour rien au monde je naurais
sacrifié mon travail aux enfants ", assure
Mme Langevin. Il est vrai que limplication ardente
de son mari elle est mariée depuis 36 ans
a beaucoup aidé à la vie avec les quatre
enfants. Les quatre autres lauréates ont aussi
des enfants. Mais c'est une détermination qui ne
se retrouve pas partout, lorsque lhorloge biologique
sonne! Gwendoline Simon ne désirait pas denfants,
mais se rappelle que la seule autre femme qui faisait
son doctorat en même temps na pas terminé
parce quelle a eu un bébé. Et il reste
du chemin à faire pour que ce choix ne pénalise
plus les femmes dans la poursuite de leur carrière.
La hausse de la limite dâge pour ladmissibilité
aux bourses de recherche permettrait à plusieurs
femmes, de retour d'un congé de maternité,
dy participer. Dans la liste des gestes positifs,
Claire Deschênes note lexemple de lorganisme
subventionnaire CRSNG (Conseil de recherche en sciences
naturelles et en génie) qui a récemment
retiré la mobilité des critères dadmission
pour ses bourses. Ça devenait discriminatoire pour
les femmes devenues mères.
Le prix reçu par Mme Langevin lamènera
à rayonner dans les écoles pour dire que
cest possible davoir une carrière scientifique
et une vie personnelle. Maintenant professeur de physique
au Cégep Champlain-St-Lawrence de Québec,
Gwendoline Simon stimule les vocations par son cours de
physique contemporaine où elle explique comment
notre monde bénéficie de la physique. Au
moins deux de ses étudiantes ont suivi ses traces
à luniversité grâce à
elle.
De nombreux comités universitaires
se penchent sur le problème. Plusieurs universités
canadiennes et lAmerican Physical Society
ont des comités du statut des femmes en physique.
Les incitatifs se multiplient. Par exemple, la Bourse
Marie-Curie de lUniversité de Montréal
permet à une cégepienne de vivre un stage
en physique avant le début de son baccalauréat.
Des actions suffisantes pour renverser la vapeur?
Mélanie Robitaille