Turbulences en cascade
(ASP) - Notre atmosphère ne ressemble
en rien à un long fleuve tranquille. Elle est animée
d'une multitude de turbulences depuis l'échelle
planétaire jusqu'à l'échelle
du millimètre! De ces phénomènes
dynamiques dépend le "temps" qu'il fait.
L'étude des turbulences s'appuie
sur l'idée de "processus en cascade invariants
d'échelle". Sous ce terme bizarre, se cache une
réalité toute simple: les gros tourbillons
se divisent pour donner des petits tourbillons, qui se
divisent à leur tour pour donner des tourbillons
encore plus petits, et ainsi de suite.
En fait, depuis les années 50, le
modèle classique servant aux prévisions
météorologiques, distingue deux types de
cascades. L'un régit les turbulences pour les échelles
supérieures à 10 km, l'autre les turbulences
plus petites. Selon cette approche, petites et grandes
structures auraient des comportements très différents.
Les grandes turbulences sont généralement
associées au "temps" tandis qu'on considère
que les petites n'ont pas d'effets importants sur la météo.
Ceci justifie qu'on en tienne peu compte dans les prévisions,
d'autant plus que les ordinateurs sont incapables de résolutions
inférieures à une centaine de kilomètres.
Or, depuis 20 ans, les physiciens montréalais
Shaun Lovejoy et Daniel Scherter proposent une autre approche.
A leurs yeux, il n'y a pas de distinction entre les grandes
et les petites turbulences. On aurait plutôt affaire
à une seule cascade qui se propage depuis l'échelle
planétaire jusqu'au millimètre cube. On
appelle ça le "modèle à invariance
d'échelle unifié".
L'idée n'est pas vraiment nouvelle.
"Ce modèle est une version moderne d'un modèle
en cascade beaucoup plus ancien proposé en 1922
par Lewis Richardson, l'un des pères de la météorologie"
précise Shaun Lovejoy de l'Université McGill.
Les récents travaux de ce dernier et de deux de
ses collègues, D. Scherter et J.D. Stanway, confirment
et précisent cette approche. Leur étude,
dont les résultats ont été publiés
fin mai dans Physical Review Letters, a porté
sur 909 images satellitaires couvrant une échelle
allant de 1 à 5000 km.
Quelles sont les implications du nouveau
modèle ? En plus d'une meilleure compréhension
théorique des phénomènes atmosphériques,
il pourrait dans l'avenir permettre d'améliorer
les prévisions météorologiques. "Ignorer
l'influence des petites turbulences sur le temps n'est
pas grave dans la plupart des cas mais, parfois, l'effet
de toutes les petites structures est au contraire très
important et domine même celui des grandes structures,
affirme S. Lovejoy. Ce sont des tas de petits "effets
papillon" -le battement des ailes d'un papillon, qui pourrait
en théorie, de fil en aiguille, entraîner
un ouragan à l'autre bout du monde.
Avant que le modèle ne soit opérationnel,
il reste toutefois beaucoup de travail. Il faut étudier
les propriétés statistiques des cascades
qui régissent les différents champs de l'atmosphère
(vent, température, humidité...). Reste
également à convaincre les partisans du
modèle standard. " Il y a une certaine incrédulité.
Beaucoup de météorologues pensent que le
modèle est trop simpliste. Je crois pourtant qu'il
est possible qu'on arrive un jour à recoller les
deux approches" affirme Shaun Lovejoy.
Anne-Camille
Bouillié