La moelle épinière contre-attaque
(ASP) - Depuis trois ans, les études
sur la régénération de la colonne
vertébrale vivent une accélération
de l'histoire. Auparavant, plusieurs experts, sans pour
autant rejeter la possibilité, ne voyaient pas
par quel miracle de la science il serait un jour possible
de reconstituer une moelle épinière brisée
-et ainsi, de permettre à des handicapés
de marcher à nouveau. Aujourd'hui, il ne se passe
plus trois mois sans que, d'un coin ou l'autre de la planète,
un autre laboratoire n'ajoute sa petite pierre à
l'édifice.
Les derniers en date sont des chercheurs
montréalais. Une équipe du département
de pathologie et biologie cellulaire de l'Université
de Montréal, a réussi à faire croître,
chez des souris, des fibres nerveuses qui avaient été
préalablement sectionnées. Les animaux,
lit-on dans la dernière édition du Journal
of Neuroscience, ont retrouvé une partie de
leur mobilité, ainsi que -car l'un ne va pas toujours
avec l'autre- une bonne coordination de leurs mouvements.
Le miracle a été accompli
par l'injection de substances capables de bloquer d'autres
substances qui, en temps normal, empêchent justement
la régénération de ces cellules nerveuses.
On appelle ces dernières substances des inhibiteurs
de croissance. Autrement dit, ce que ces chercheurs ont
réussi à faire, c'est à "contrer"
ces inhibiteurs de croissance.
En soi, ces chercheurs ne sont pas les premiers
à explorer cette piste. Si certaines des équipes
qui, ailleurs dans le monde, donnent de l'espoir aux paraplégiques,
se sont plutôt penchées sur la possibilité
que des cellules-souches, injectées dans la moelle
épinière, ne contribuent à la reconstitution
de celle-ci, plusieurs autres ont effectivement suivi
la piste des inhibiteurs de croissance.
En avril dernier par exemple, une équipe
britannique a décrit dans la revue Nature
comment une enzyme produite par une bactérie (chondroitinase
ABC) et injectée à des rats, a permis la
régénération de ces fameuses fibres
nerveuses. Les rats peuvent en partie marcher, mais n'ont
pas recouvré beaucoup de sensations dans leurs
pattes. En mai 2001, une équipe américaine
démontrait, également dans Nature,
qu'une partie d'une protéine appelée Nogo,
produite par les gènes de plusieurs animaux, dont
les humains, pouvait entraîner une re-création
des cellules nerveuses lorsqu'on lui faisait cibler un
récepteur précis de notre système
nerveux: en temps normal, Nogo active ce récepteur,
or, voilà qu'une partie de Nogo arrivait à
le "bousiller" -entraînant ainsi la croissance sans
problèmes des fibres nerveuses. En juin de cette
année, la même équipe récidivait
dans Science en identifiant la raison de son succès
de l'année précédente: un inhibiteur
de croissance -un autre- qui se lie au récepteur
lorsqu'arrive Nogo.
Le problème derrière toutes
ces recherches est double: d'une part, des inhibiteurs
de croissance, il y en a plusieurs, et on les connaît
encore mal. Réussir à cibler "le bon"
est donc loin d'être évident. Et d'autre
part, même si cela était, resterait à
lui donner les bonnes instructions: la molécule
que l'on désire "livrer" au bon endroit -là
où doivent croître de nouvelles fibres nerveuses-
doit en effet, pour s'y rendre, suivre ce chemin tortueux
et largement méconnu qu'est le labyrinthe de notre
moelle épinière.
Tous les Christopher Reeves de ce monde
-cet acteur qui incarna Superman et qui, aujourd'hui cloué
sur une chaise roulante, s'est fait l'un des promoteurs
les plus actifs de la recherche scientifique sur la régénération
de la moelle épinière- devront donc patienter.
Entre les essais actuellement en cours sur des souris,
et ceux qui pourraient éventuellement aboutir à
des cobayes humains, il s'écoulera encore des années.
La chercheure principale de l'équipe
montréalaise, Lisa McKerracher, est également
derrière une firme de biotechnologie, Bioaxone
Thérapeutique, fondée précisément
dans le but de pousser plus avant cette exploration de
l'univers de notre système nerveux.
Mais l'avantage, soulignent tous les chercheurs
impliqués, c'est que ces percées médicales,
lorsqu'elles se produiront, pourront peut-être également
servir aux gens atteints de Parkinson ou d'autres problèmes
neurologiques, puisque le point de départ de ces
maux fut, là aussi, des dommages que l'on croyait
irréparables aux cellules nerveuses...
Pascal Lapointe